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Environnement, Risques & Santé

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Construction stage and indoor air quality: impact of construction processes on the health of future occupants Volume 18, issue 4, July-August 2019

Figures


  • Figure 1

  • Figure 2

La qualité de l’air intérieur représente désormais un sujet majeur de santé publique. Si les exigences énergétiques sont de mieux en mieux intégrées par l’ensemble des acteurs de la construction, la prise en compte de la santé reste un sujet mal connu de la plupart des professionnels. En France, face aux constats alarmants établis à partir des années 2000 par l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI), la législation a évolué vers une volonté d’information des différents acteurs, notamment à travers l’obligation d’étiquetage des émissions de polluants volatils des produits de construction et de décoration (décret du 23 mars 20111). Cet étiquetage, associé au développement des écolabels, a initié une prise de conscience de l’impact sanitaire des contaminants chimiques parmi les acteurs de la construction.

Malgré cette évolution, de nombreuses incertitudes subsistent concernant l’impact des phases de mise en œuvre sur la future qualité de l’air intérieur : conditions de stockage des matériaux (exposition à l’humidité, aux poussières), variabilité des émissions de chaque produit dans des conditions de température et d’hygrométrie très différentes de celles des chambres d’essais, impact des taux d’humidité des supports sur les émissions de composés organiques volatils, etc. Au-delà des émissions spécifiques à chaque produit de construction, ce sont donc les processus de mise en œuvre qui interrogent. Afin d’approfondir le sujet, le bureau d’études INDDIGO a réuni des professionnels de la construction (l’Agence qualité construction [AQC] et le cabinet INTECO qui réalise des missions de coordination de chantiers) et des experts en santé publique (École des hautes études en santé publique [EHESP]) autour du projet intitulé ICHAQAI (impact de la phase chantier sur la qualité de l’air intérieur), co-financé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) dans le cadre du programme CORTEA 2015.

Méthodes

Le projet ICHAQAI a eu pour objectif d’améliorer les connaissances, avec la recherche de facteurs de pollution en cours de chantier. Pour cela, deux chantiers de construction neuve ont fait l’objet d’investigations incluant des mesures de qualité de l’air intérieur à partir de la phase de hors d’eau/hors d’air, c’est-à-dire une fois les bâtiments clos et couverts.

Émissions de contaminants chimiques et particulaires

Afin d’identifier les tâches les plus émissives, des mesures en continu des composés organiques volatils (COV) ont été effectuées à l’aide de microcapteurs électroniques d’oxydes métalliques (station de mesures Fireflies, Hager Services). En complément des mesures en continu, des campagnes de mesures ponctuelles ont été réalisées à chaque étape clé : mise hors d’eau/hors d’air, réalisation des doublages et des cloisonnements, préparation des supports (chapes, enduits et primaires), application des peintures de finition, mise en œuvre des revêtements de sols, travaux de finition avant le nettoyage de fin de chantier, livraison du bâtiment (après nettoyage et mise en fonctionnement du système de ventilation). Pour chaque chantier test, la fin de chacune de ces étapes a fait l’objet de prélèvements en actif des COV.

De plus, les particules fines (PM10) ont été mesurées par gravimétrie avant et après le nettoyage de livraison. Les particules prélevées ont fait l’objet d’analyses afin d’identifier les composés organiques semi-volatils (COSV) adsorbés.

Conditions hygrothermiques et risque de contamination fongique

De nombreuses tâches réalisées lors de la construction engendrent la production d’humidité : séchage des matériaux et produits, avec parfois un impact important de l’exposition des matériaux aux intempéries. Dans un contexte d’étanchéification de l’enveloppe des bâtiments, et en l’absence de ventilation en phase chantier, cette eau ne peut s’évacuer et les moisissures trouvent des conditions propices à leur développement (figure 1).

Afin de mieux comprendre les dynamiques de séchage et caractériser les conditions hygrothermiques, des sondes de température et d’hygrométrie ont été placées en extérieur et aux différents niveaux de chaque bâtiment investigué. De plus, la présence de biomasse dans l’air a été évaluée lors des phases les plus critiques en termes d’humidité relative. Les mesures ont été effectuées par bio-impaction sur milieu de culture gélosé.

Qualité de mise en œuvre des systèmes de ventilation

Dans le contexte actuel de renforcement de l’isolation et de l’étanchéité à l’air des bâtiments, le système de ventilation est devenu un élément clé pour concilier performance énergétique et qualité de l’air intérieur. En effet, celui-ci permet de contrôler et d’optimiser le renouvellement de l’air afin de limiter les déperditions énergétiques ; en parallèle, il assure l’amenée d’air neuf en quantité suffisante pour les occupants. Pourtant, en France, des non-conformités récurrentes ont été constatées sur les systèmes de ventilation installés, avec, selon plusieurs sources, des taux de renouvellement d’air non conformes aux valeurs réglementaires pour environ 50 % des bâtiments [1, 2].

Si le projet ICHAQAI rappelle l’impérative nécessité de respecter les règles de l’art lors des phases de mise en œuvre des systèmes de ventilation, les mesures effectuées ont eu pour objectif d’évaluer les risques potentiels de contamination des réseaux et des équipements durant la phase chantier. En effet, il n’est pas rare d’observer un empoussièrement des réseaux aérauliques pendant les étapes de stockage et de mise en œuvre, ainsi qu’une exposition à de forts taux d’humidité. Ces poussières peuvent constituer des supports idéals de développements fongiques. En phase d’utilisation des bâtiments, le risque de refoulement de poussières contaminées par des COSV ou par des micro-organismes semble réel, d’autant plus si le système de ventilation intègre de l’insufflation d’air neuf (système double flux ou système par insufflation).

Afin d’évaluer le risque de contamination de l’air intérieur des locaux, des poussières ont été prélevées à l’intérieur des réseaux aérauliques une fois mis en œuvre, et en phase d’usage à l’intérieur des locaux. Ces poussières ont fait l’objet d’analyses de contamination fongique et d’analyses chimiques permettant d’identifier des composés de la famille des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).

Résultats

Des concentrations en COV très variables selon les tâches réalisées et les conditions d’aération

Sur chacun des deux chantiers tests, les mesures réalisées à l’aide des microcapteurs ont mis en évidence les tâches à l’origine des plus fortes émissions de contaminants chimiques. Celles-ci correspondent majoritairement à l’utilisation de produits considérés comme secondaires voire annexes, par exemple : peintures de finition sur supports spécifiques, utilisation de produits de nettoyage en fin de chantier.

Ces mesures ont, d’autre part, révélé l’efficacité de la mise en fonctionnement des systèmes de ventilation : sur chacune des deux opérations, la ventilation a permis une réduction significative des concentrations globales en COV (figure 2). De plus, un comparatif a pu être effectué entre les deux chantiers qui ont présenté des contextes très différents du point de vue de l’aération et de l’enchaînement des tâches. L’ouverture répétée des fenêtres par les ouvriers, associée à la non-superposition des tâches, a permis une concentration globale en COV quatre à cinq fois inférieure en comparaison d’un chantier confiné et réalisé dans des délais plus restreints.

Des taux d’hygrométrie élevés et la présence de moisissures

Sur chacun des deux chantiers tests, l’analyse des variations de l’humidité relative a révélé des périodes pendant lesquelles l’hygrométrie intérieure est plus élevée qu’à l’extérieur. De façon générale, les bâtiments conservent un taux d’humidité élevé (toujours supérieur à 70 %), même lorsque les conditions climatiques font chuter l’humidité relative extérieure. Les périodes pendant lesquelles sont réalisés les doublages et cloisonnements sont marquées par des taux d’humidité intérieurs particulièrement propices au développement de moisissures. Les mesures de biomasse réalisées à ce stade d’avancement des chantiers ont confirmé ces risques de développements fongiques.

Des contaminations possibles via les systèmes de ventilation définitifs

L’analyse des poussières prélevées au niveau des gaines de ventilation a révélé la présence de moisissures sur certains des prélèvements. Les mêmes composés de la famille des HAP ont été retrouvés sur les poussières des réseaux aérauliques et sur les poussières prélevées dans les locaux. Ces HAP proviennent très probablement des huiles et des solvants de dégraissage utilisés en usine pour la fabrication des gaines de ventilation. En effet, à l’exception des réseaux destinés au secteur hospitalier, les gaines aérauliques ne sont ni nettoyées en sortie d’usine, ni encapuchonnées afin de les protéger tout au long des phases de transport et de stockage. La présence de ces COSV a de plus tendance à faciliter le colmatage des poussières en surface des gaines.

Discussion

Sensibiliser les professionnels sur le choix des produits de construction

Le projet ICHAQAI a révélé que les plus forts niveaux d’émission en COV ne sont pas liés aux produits utilisés en quantité importante et appliqués sur les surfaces courantes (peintures appliquées sur murs, cloisons et plafonds par exemple). Ce sont des produits utilisés en faible quantité et sur des supports spécifiques qui occasionnent les plus forts niveaux d’émission. Or, ces produits ne font pas toujours l’objet de prescriptions dans les cahiers des charges des entreprises ; ils nécessiteraient un meilleur suivi et surtout une sensibilisation des professionnels sur la sélection des produits utilisés. De plus, des alternatives pourraient être envisagées afin d’éviter le recours à des produits émissifs (finitions réalisées en usine, recours à des procédés mécaniques, etc.)

Un risque avéré de développements fongiques en phase chantier

Le dispositif REX Bâtiments Performants [3] mené par l’AQC, grâce au soutien du programme PACTE (Programme d’action pour la qualité de la construction et la transition énergétique) de l’ADEME et de l’État, a permis de signaler des développements de moisissures sur des chantiers de construction neuve et de rénovation. Ce programme, initié en 2010, a été déployé sur plus de 1 000 bâtiments en France. Les motifs associés à ces développements fongiques varient selon les contextes. Les moisissures peuvent apparaître sur des surfaces visibles, et dans ce cas font généralement l’objet de traitements avant la livraison des bâtiments. Parfois les proliférations ont lieu sur des supports invisibles une fois le bâtiment livré (supports positionnés derrière des parois de doublage). Dans les deux cas, les possibilités de persistance en phase d’exploitation et les risques sanitaires associés posent question. En effet, les moisissures, qui se sont développées sur des matériaux poreux dans des conditions extrêmes d’hygrométrie, pourraient trouver des conditions favorables de réémergence en phase d’exploitation : excès d’humidité et taux de renouvellement d’air insuffisant.

En parallèle, la recherche de gain sur les délais de chantier peut se traduire par une restriction des temps accordés pour le séchage des matériaux et produits, ou encore par une intervention prématurée des professionnels du second œuvre. Pourtant, les risques de non-qualité liée à une humidité élevée sur les chantiers sont réels : déformation des bois, décollement des revêtements de finition, dégradation des performances thermiques, développement de moisissures et même augmentation des émissions de COV. L’influence de l’humidité relative sur les émissions de COV et plus particulièrement de formaldéhyde est documentée dans la littérature. Huang et al. [4] ont mis en évidence une relation linéaire entre l’émission initiale en formaldéhyde d’un matériau et l’humidité relative à laquelle il est exposé.

Envisager une ventilation spécifique pour la phase chantier ?

En phase de construction, aucune ventilation spécifique n’est mise en œuvre. Les systèmes de ventilation définitifs, une fois installés, ne sont mis en fonctionnement qu’en toute fin de chantier, ceci afin d’éviter toute dégradation ou contamination possible des équipements. Le renouvellement d’air des bâtiments s’effectue donc uniquement via les défauts d’étanchéité à l’air de l’enveloppe et par ouverture des fenêtres.

Les défauts d’étanchéité à l’air sont aujourd’hui fortement réduits en raison de l’augmentation de la performance énergétique des bâtiments. Selon les contextes, l’aération par ouverture des fenêtres est très variable, en raison des risques possibles d’intrusion et des habitudes de travail des ouvriers. Dans beaucoup de situations, l’aération reste limitée, ce qui a pour effet de concentrer l’humidité et les polluants liés aux différents travaux réalisés, avec des risques immédiats pour la santé des travailleurs et ultérieurs pour les futurs occupants.

Le recours à des systèmes de ventilation provisoire en phase chantier nécessite toutefois d’être étudié, à la fois en termes d’efficacité et d’impacts techniques. En effet, un assèchement trop important des bâtiments et des vitesses d’air élevées peuvent conduire à des risques de fissuration des bétons, ciments et chapes.

Conclusion

Si les mesures réalisées ont permis de démontrer que les concentrations en COV décroissent rapidement avec l’aération ou la mise en fonctionnement des systèmes de ventilation, en revanche les développements de moisissures et la présence de COSV interrogent de plus en plus les autorités sanitaires. Certains COSV sont en effet susceptibles d’augmenter la sévérité des symptômes de l’asthme [5], et ces composés ne disparaissent pas rapidement comme les COV ; ils sont émis dans l’air sur de très longues périodes voire même sur plusieurs années selon leur caractère plus ou moins volatil.

Concernant les développements fongiques, des associations ont été clairement établies entre troubles respiratoires et présence de moisissures dans les pièces occupées [6]. Or, il n’est pas exclu que les moisissures présentes en phase chantier puissent trouver des conditions favorables à leur réémergence en phase d’usage des bâtiments. Ce constat vient interroger l’ensemble des processus de construction, et toute la chaîne des acteurs du bâtiment jusqu’aux maîtres d’ouvrage et décideurs, avec notamment la question du temps accordé à la réalisation des ouvrages.

La qualité de la mise en œuvre des réseaux aérauliques et des équipements de ventilation apparaît également comme un enjeu prioritaire. Le vecteur « air » devrait faire l’objet d’une attention tout aussi importante que le vecteur « eau potable » : respect des règles de mise en œuvre, étanchéité des réseaux, nature des produits de calfeutrement utilisés, protection et nettoyage des réseaux avant réception des ouvrages.

Les résultats du projet ICHAQAI ont fait l’objet d’une plaquette de sensibilisation, d’un guide méthodologique et d’un outil d’aide à la décision à l’attention des professionnels du bâtiment. L’outil, disponible en ligne sur le site de l’AQC, répertorie 97 actions possibles pour réduire les émissions de polluants, prévenir les risques liés aux excès d’humidité, et soigner la mise en œuvre des systèmes de ventilation. La méthodologie et les solutions proposées dans le cadre des trois livrables relèvent d’une démarche volontaire et non d’obligations réglementaires. Par ailleurs, les partenaires du projet ICHAQAI et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) travaillent depuis l’automne 2018 sur un nouveau projet intitulé MYCO-BAT - Réduire le risque de développements fongiques en phase chantier. Soutenu par l’ADEME via l’appel à projets de recherche « Vers des bâtiments responsables à l’horizon 2020 », ce projet a pour objectifs d’identifier et hiérarchiser les déterminants associés aux développements fongiques et de proposer des solutions détaillées et adaptées aux différents contextes de la construction neuve.

Remerciements et autres mentions

Le projet ICHAQAI a été réalisé dans le cadre du programme CORTEA 2015 et soutenu par l’ADEME. Nous remercions Pierre Deroubaix et Souad Bouallala pour le suivi du projet, et le Laboratoire d’étude et recherche en environnement et santé (LERES) pour la réalisation des analyses.

Financement : ADEME ; liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.


1 Décret no 2011-321 du 23 mars 2011 relatif à l’étiquetage des produits de construction ou de revêtement de mur ou de sol et des peintures et vernis sur leurs émissions de polluants volatils.

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