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Environnement, Risques & Santé

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Nature and culture: merit of the concept for environmental health Volume 17, issue 6, November-December 2018

« Si quelque chose est dit sur la nature, ce n’est déjà plus la nature. » Ch’eng Hao (philosophe chinois)

« Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme. » M. Merleau-Ponty

« Tout ce qui est universel, chez l’homme, relève de l’ordre de la nature et se caractérise par la spontanéité ; tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier. » Claude Lévi-Strauss

Le tandem « nature-culture » a été abordé par des disciplines multiples : philosophie, anthropologie, sociologie, mais aussi biologie, génétique, toxicologie, et même économie. S’il a fait l’objet de travaux concernant la santé [1] ou l’environnement [2], il n’a pas à notre connaissance été envisagé sous l’angle de la santé-environnement. C’est ce que nous essaierons d’aborder ici : mieux connaître les parts respectives de la nature et de la culture, ainsi que leurs interactions dans le champ santé-environnement, pourrait aider à réfléchir aux leviers possibles d’atténuation des effets de l’environnement sur la santé.

Les relations entre les concepts de nature et de culture ont connu de profonds bouleversements [3]. Avant les grandes avancées scientifiques du XXe siècle, ces relations étaient caractérisées par la différence, voire l’opposition. Ainsi la culture, institution humaine, renvoyait à la coutume, impliquant l’exercice d’une volonté avec des règles, des valeurs, des croyances. À l’opposé, la nature se caractérisait par des événements sur lesquels les humains n’ont pas de contrôle : le rythme des saisons et des récoltes, la configuration du vivant, le climat. La nature recèle une sorte de vérité qu’il s’agirait de découvrir, en particulier via les travaux scientifiques.

Le développement de ces travaux scientifiques depuis la deuxième moitié du XXe siècle a conduit à repenser la frontière entre nature et culture et à se demander, à la suite de Philippe Descola [4] : « Peut-on penser le monde sans distinguer la culture de la nature ? ». L’analyse des quelques exemples ci-dessous en est l’illustration.

Maladies chroniques et épigénétiques

Les maladies chroniques sont passées au premier plan des causes de morbidité dans les pays développés, et les causes ou facteurs de risque en restent débattus, avec une forte probabilité qu’elles soient le résultat d’une interaction entre les gènes et les facteurs environnementaux.

Le patrimoine génétique d’un individu détermine une partie de ses caractéristiques, y compris ses facteurs de prédisposition à certaines maladies, mais les événements auxquels cet individu est exposé pendant le développement ont aussi un rôle dans la manière dont il réagira à l’âge adulte [5]. Depuis Darwin et jusqu’au début des années 2000, les concepts de sélection, d’héritabilité et de variations individuelles suffisaient à expliquer l’évolution. C’est à partir des années 2000 [6] qu’un apport significatif à la théorie darwinienne de l’évolution a été mis en évidence, avec le concept d’épigénétique environnementale, qui aujourd’hui tente d’explorer plus précisément la nature et l’origine des variations interindividuelles.

Ce concept est particulièrement étudié dans le domaine de ce qu’il est convenu d’appeler les perturbateurs endocriniens. Des produits chimiques, introduits dans divers environnements à partir des années 1940, ont conduit à des effets indésirables sur les êtres vivants, soit par un effet direct, soit par un mécanisme dit épigénétique. Pubertés précoces, baisse de la qualité du sperme et de la fertilité des couples, malformations génitales du petit garçon, ainsi que certains cancers, troubles métaboliques (diabète, obésité), pathologies neurologiques et du système immunitaire sont les principaux effets indésirables potentiels attribués aux perturbateurs endocriniens.

Les études qui permettent de mettre ces facteurs de risque en évidence nécessitent des protocoles complexes et l’analyse de grands échantillons ; par conséquent les résultats sont souvent discutables et discutés.

Des cas bien documentés ont suggéré que l’hérédité portée par les chromosomes pouvait être modulée par des expositions toxiques, des comportements, des expériences des parents ou même des grands-parents. Comme le dit Edith Heard [7], titulaire de la chaire « Épigénétique et mémoire cellulaire » au Collège de France, l’idée est que l’épigénétique – la façon dont le génome est lu – pourrait laisser espérer que nous ne sommes pas réduits à la somme de nos gènes. Ce que nous mangeons, l’air que nous respirons, et même nos émotions pourraient influencer non seulement l’expression de nos propres gènes, mais celle de nos enfants et de nos petits-enfants. Ainsi, l’épigénétique et le concept d’hérédité transgénérationnelle décrivent la capacité de certains facteurs d’induire un phénotype ou une maladie, pas seulement chez un individu, mais aussi chez ses enfants et les générations ultérieures.

Les informations épigénétiques sont des « indications » pour la cellule. À partir d’elles, la machinerie cellulaire peut allumer ou éteindre tel ou tel type de gène selon le tissu considéré : activation des gènes de muscle dans le muscle, désactivation dans le foie. Ces marques sont des sortes d’étiquettes indiquant aux cellules d’exécuter telle ou telle tâche en fonction du tissu dans lequel elles se trouvent, mais également en fonction de l’âge de l’individu ou encore en réponse à des influences extérieures. Dans les cellules germinales, les marques épigénétiques aident à déterminer la séquence des événements du développement embryonnaire et, par conséquent, jouent un rôle primordial dans la construction d’un nouvel individu.

Divers exemples tendent à montrer la réalité de ces mécanismes.

Ainsi, les personnes nées de femmes qui étaient enceintes pendant la grande famine de 1944 aux Pays-Bas ont eu un excès de maladies métaboliques, mais ces maladies étaient différentes selon le stade de grossesse auquel se trouvait leur mère au pire moment de cette famine : les personnes exposées en début de vie intra-utérine sont plus souvent obèses à l’âge adulte, tandis que celles exposées peu avant la naissance sont plus souvent atteintes de diabète avec insulino-résistance [8].

De même, le stress de la mère pendant la grossesse pourrait induire des modifications transmissibles à la descendance, et en particulier des maladies allergiques [9]. Ces facteurs de risque ne sont pas mutagènes, et donc n’induisent pas ni ne promeuvent des mutations génétiques ou altérations de séquences d’ADN. Au contraire, ils ont la capacité d’affecter l’épigénome, soit en altérant la méthylation de l’ADN, soit en modifiant les histones, soit en induisant la transcription d’ARN non codants. Ce sont ces « épimutations » qui, si elles affectent les cellules de la lignée germinale (spermatozoïdes ou ovules), sont transmises. Ce mécanisme pourrait expliquer des effets tératogènes liés à une exposition paternelle avant la conception, sujet controversé depuis longtemps.

Les expositions toxiques sont également susceptibles d’induire des effets transgénérationnels. Un travail récent [10] a testé l’hypothèse que l’exposition in utero d’un fœtus au plomb par l’intermédiaire de sa mère pourrait avoir des effets indésirables sur les « enfants de ce fœtus », donc sur les petits-enfants de la femme exposée pendant sa grossesse. Cette étude utilise des technologies récentes d’étude de profils de méthylation de l’ADN, corrélés à des niveaux de plombémie, et vient confirmer l’existence de transmission épigénétique de marqueurs d’exposition à des toxiques tels que le plomb.

Pour déterminer si la nutrition est capable d’altérer la disposition des marques épigénétiques des cellules sexuelles, des chercheurs ont collecté des spermatozoïdes de sujets atteints d’obésité et éligibles pour une chirurgie bariatrique [11]. Un an après l’intervention, les sujets opérés avaient perdu 30 kg en moyenne, et leur bilan métabolique s’était nettement amélioré. Dans le même temps, la signature épigénétique de leurs spermatozoïdes était modifiée : des gènes portaient de nouvelles marques épigénétiques un an après la chirurgie, gènes contrôlant la prise alimentaire. Les spermatozoïdes des sujets ayant perdu du poids portaient donc des marques épigénétiques capables d’influencer le comportement alimentaire de leurs enfants et d’améliorer leur métabolisme.

L’épigénétique implique donc des modifications de la lignée germinale, donnant lieu à des effets survenant aux générations suivantes en l’absence de l’agent causal. C’est ainsi que des facteurs environnementaux sont susceptibles de modifier le processus d’évolution.

Le concept d’interaction gène-environnement a d’abord été considéré comme une avancée par rapport au concept de nature-culture mais il apparaît qu’à part dans quelques cas exceptionnels, il n’est pas possible de déterminer ce qui est attribuable à l’un ou à l’autre. Les transformations des individus observées depuis quelques décennies et attribuées à la perturbation endocrinienne sont indépendantes de ce que l’on appelle classiquement l’évolution par un mécanisme de sélection. On doit maintenant s’intéresser à ce que l’épigénétique peut apporter à la compréhension de ces changements.

Les débats les plus nourris portent actuellement sur la nécessité ou non de transformer des résultats de recherche en actions de santé publique parfois lourdes de conséquences, en situation d’incertitude.

La prévalence des maladies chroniques continuera de croître avec le vieillissement de la population, mais on peut espérer que les nouvelles technologies, qui conduisent à mieux connaître le génome, l’épigénome, etc., faciliteront la compréhension de leurs mécanismes de survenue, avec des perspectives de prévention et de traitement.

Alimentation

Comment ne pas aborder la question de l’alimentation d’un point de vue culturel si l’on s’intéresse au rapport nature-culture et à l’insertion de l’homme dans son écosystème ?

L’alimentation s’inscrit dans la transmission d’une culture familiale

Manger rejoint l’essence de l’individu, avec des aspects culturels et symboliques. Nourrir, comme se nourrir, est un acte symbolique. C’est aussi un acte social, qui s’inscrit dans une famille, elle-même ancrée dans une histoire. C’est un acte qui évolue au gré des pressions sociales et des modes, mais aussi des tendances personnelles [12]. Au sein de la famille comme de la collectivité, l’alimentation comporte à la fois une dimension fonctionnelle qui assure la croissance et le développement, une dimension affective qui procure la sécurité, une dimension symbolique et rituelle qui assure le développement sociocognitif, la socialisation et l’appartenance au groupe, et enfin une dimension organisationnelle car l’acte de manger occupe et structure le temps et l’espace [13].

Nous mangeons des aliments, et à travers eux des valeurs, des normes, des pratiques. Si Brillat-Savarin affirme « Dis-moi ce que tu manges et je te dirai ce que tu es », tandis que le philosophe matérialiste allemand Ludwig Feuerbach dit « Man ist was man isst » (on est ce que l’on mange), en effet, le nombre d’aliments consommé par chaque individu / chaque « famille » au sens large est extrêmement faible par rapport au nombre d’aliments disponibles : les modes de consommation sont culturels.

L’évolution actuelle du modèle alimentaire français, qui met en valeur le goût, fait l’éloge de la cuisine, du plaisir et de la convivialité, montre que l’évolution de la société se lit dans celle des aliments les plus consommés. Ainsi les enquêtes montrent que les aliments jugés essentiels par les Français, qui étaient en 1966 dans l’enquête de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) les féculents, suivis de la viande, puis des légumes et des produits laitiers, sont actuellement les fruits et légumes, viandes et produits laitiers. Les féculents n’arrivent qu’en quatrième position, suivis par les produits de la mer.

Plus récemment, sous l’influence des mouvements dits « antispécistes », on assiste à un attrait grandissant pour les viandes blanches (n’ayant pas l’image du sang) et surtout les produits végétaux, conduisant à un néo-végétarisme et à sa version ultime dite « véganisme ».

Eau, nature et culture

L’eau appartient à la nature. Elle existe et circule avant et après les interventions de l’homme sur son cycle. L’eau est aussi objet de culture (on notera que « culture » vient du latin « colare » qui veut dire « couler »). Elle est à la fois source de conflits et puissant facteur de solidarité, donc de cohésion sociale et territoriale. Une gestion satisfaisante, c’est-à-dire équilibrée et durable, des ressources en eau, superficielles et souterraines, quelles que soient les régions du monde et les populations considérées, est un acte collectif. Elle est donc fondamentalement liée à la culture. C’est à partir de ce constat que l’Académie de l’eau a, dans un travail collectif et multidisciplinaire, abordé les dimensions culturelles des problématiques universelles de l’eau [14].

Il apparaît clairement dans ce travail que la gestion de l’eau, comme son utilisation, dépendent du contexte culturel autant que de la ressource elle-même. La dimension culturelle est fondamentale puisqu’elle conditionne les mentalités, les attitudes et les comportements. Par ailleurs, la participation plus large et plus active des usagers aux processus décisionnels requiert de la part de chacun une bonne compréhension des liens profonds et complexes qui unissent l’homme à l’eau.

Il faut prendre en considération les réactions des populations en fonction de leurs racines et de leurs cultures, très liées aux conditions géographiques et historiques ainsi qu’à la religion, même si celle-ci n’est plus pratiquée. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) préconise le respect de la diversité culturelle : c’est un gage de succès pour une gestion de l’eau correspondant aux besoins et aux traditions des intéressés. Toute velléité de hiérarchisation des cultures, toute tentative d’unification serait vaine. C’est à la gestion de l’eau de s’y adapter pour être durablement efficace.

Risque alimentaire

L’anthropologie de l’alimentation se pose l’éternelle question du rapport nature-culture, et donc de l’insertion de l’homme dans son écosystème, à l’heure où le monde semble obsédé par le problème du risque alimentaire et où l’écart ne cesse de grandir entre les lieux de production et les espaces de consommation. Les polémiques sur la diététique et les aliments bons ou dangereux à manger sont légion. On ne fera que mentionner les médecines traditionnelles qui préconisaient la noix pour le cerveau (son amande ressemble au cerveau, sa coquille au crâne, son brou au cuir chevelu), le haricot pour le rein, le millepertuis pour la peau, le saule pour les rhumatismes, etc., ce qui représente, comme le rappelle Burtscher [12], la théorie de la « signature ».

Si l’on revient à des considérations plus actuelles, le fait que l’on mange trop salé, trop gras, trop sucré n’est plus remis en question. Avec l’occidentalisation des comportements alimentaires, la prévalence de l’obésité, du diabète, des maladies cardiovasculaires augmente. Les stratégies de lutte contre ces pathologies sont variées : manger méditerranéen (céréales, fruits et légumes, huile d’olive) ou à la façon d’Okinawa (restriction calorique, très peu de gras et de viande, poissons), devenir végétarien, voire végétalien, se limiter à de la nourriture crue. On se penche aussi sur l’alimentation dans le passé et sur les maladies d’alors, remontant même parfois au régime préhistorique. L’homme préhistorique, d’avant l’arrivée de l’agriculture, est dit naturel et exempt des maladies dites de civilisation. Il était chasseur-cueilleur, ne consommait ni céréales, ni laitages, ni sucre, ni sel. Les squelettes retrouvés n’ont ni caries, ni carences, alors qu’Ötzi, l’homme retrouvé congelé dans un glacier des Alpes il y a environ 5 300 ans [15], avait des caries dentaires et des abrasions dentaires causées par les farines de céréales mal moulues. Certains conseillent également de supprimer le gluten, les céréales, le lait. Le lait, source de calcium, contribue à la solidité des os, mais on lui attribue un risque augmenté de diverses pathologies (diabète de type 1, cancers, maladies cardiovasculaires, autres pathologies à type d’intolérance). Ces affirmations viennent d’associations suggérées par des études épidémiologiques, mais aucune relation causale ne peut en être déduite à ce jour [16]. L’argument premier des opposants au lait est en fait que l’espèce humaine a survécu et évolué pendant des millions d’années sans aucun produit laitier, se nourrissant de lait maternel uniquement dans sa petite enfance. Les produits laitiers ne sont apparus dans l’alimentation qu’il y a 10 000 ans environ. Le résultat de ces millions d’années d’évolution sans lait serait que 75 % de la population mondiale est intolérante aux produits laitiers à l’âge adulte. L’homme est la seule espèce à consommer du lait d’une autre espèce à l’âge adulte. C’est vrai, mais c’est aussi le seul à avoir inventé le feu pour faire la cuisine, à avoir fait bouillir ou rôtir les aliments pour les rendre plus digestes, à avoir rajouté des herbes pour améliorer les saveurs. L’argument du naturel pour soutenir le régime végétarien est difficile à défendre : les hommes préhistoriques, dès Homo erectus, mangeaient de la viande.

Entre -10 000 et -8 000, la révolution du Néolithique [17] a changé l’alimentation des humains et leur mode de vie. L’être humain s’est alors sédentarisé, passant de chasseur-cueilleur à éleveur et/ou agriculteur. L’alimentation est devenue plus riche, plus variée. Dans les régions tempérées, lait et fromage sont apparus avec le développement de l’élevage. La culture des céréales a permis le développement d’aliments nouveaux : pain, bouillies, galettes, bière. Les conséquences sont nombreuses : explosion démographique, développement des outils pour travailler la terre, des poteries pour stocker les aliments ou les cuire, développement des villages, des villes et de ce que l’on appellera la civilisation.

D’une certaine façon, l’être humain passe alors de l’état de nature à celui de culture, et à la civilisation dite « urbaine », avec quelques conséquences négatives telles que l’arrivée des épidémies liée à une cohabitation plus étroite avec des animaux, ou une organisation sociale conduisant à des inégalités, des conflits et la guerre.

Il est illusoire d’envisager de vivre et manger comme avant la révolution du Néolithique. Les nomades continuant à vivre de chasse et de cueillette sont des populations très minoritaires dans le monde, en voie de disparition. Les maladies dites « de civilisation » ont une origine complexe, elles sont liées à une alimentation trop abondante, trop riche, mais aussi à un mode de vie trop sédentaire, à des toxiques de l’environnement et probablement à d’autres facteurs de risque pas encore identifiés.

Organismes naturels et non naturels : la question des OGM

La distinction entre organismes naturels et non naturels est souvent avancée par les opposants : en 2010, 70 % des Européens estimaient que la nourriture génétiquement modifiée était fondamentalement non naturelle et, à ce titre, pour la plupart des personnes interrogées, à rejeter. En 1999, 67 % des Européens pensaient aussi que « la nourriture génétiquement modifiée menaçait l’ordre naturel des choses ». Des chercheurs danois ont analysé les cinq raisons qui poussent les personnes opposées aux OGM à les rejeter en raison de leur absence de naturalité [18] : « ils ne sont pas familiers, ils sont le résultat d’une manipulation humaine, ils introduisent des matériaux étrangers, les organismes sont altérés, et l’équilibre naturel est menacé ».

L’équipe danoise a décortiqué les cinq arguments.

  • Ils ne sont pas familiers. On tend à assimiler le non familier à un danger potentiel, en particulier pour l’alimentation, et cela ne peut au mieux qu’évoquer un défaut de connaissance et la nécessité d’une information de meilleure qualité. Si tout ce qui n’est pas familier devait être rejeté, le monde serait pour le moins figé...
  • Ils sont le résultat d’une manipulation humaine. C’est le cas des cultures et des animaux d’élevage utilisés pour se nourrir. Le blé, le riz, les cochons, les pommes, les vaches, les légumes que nous consommons sont les fruits de siècles, voire de millénaires, de sélection et de croisement. Si les OGM sont à rejeter à cause de l’intervention humaine, alors la plupart des cultures et animaux d’élevage le sont aussi. Une critique subsidiaire est que les OGM résultent d’actions plus complexes que pour les cultures et animaux traditionnels. Sur quel critère juger de cette complexité ? S’il s’agit de l’étendue de la modification (nombre de gènes modifiés), là encore l’argument n’est pas soutenable : dans le cas des OGM de première génération (ceux qui sont commercialisés), la modification se limite à un seul gène.
  • Ils introduisent des matériaux étrangers. La technologie employée pour produire des OGM ne se limite pas à insérer des « matériaux » étrangers. Ainsi, le rétrocroisement (backcrossing) consiste à réintroduire dans un organisme des traits originaux perdus au fil du temps et de la culture sélective, afin de se rapprocher des plantes originales. Autre exemple : lorsque l’on insère dans un organisme un gène ou une séquence de gènes extraits d’organismes avec lesquels l’organisme receveur peut se reproduire (cisgenèse), le matériau n’est pas « étranger ». Pour ce qui est des gènes que l’on peut considérer comme « étrangers », à savoir les OGM transgéniques (modifiés avec des gènes pris hors de l’espèce), dire qu’ils sont à rejeter parce qu’ils ne sont pas naturels semble reposer sur une question de morale. C’est ignorer le fait que la molécule d’ADN est universelle, et son fonctionnement est identique pour toutes les espèces. Introduire un gène ou une séquence de gènes d’une espèce dans une autre ne revient pas à insérer quelque chose qui « ne lui appartient pas ». Enfin, les bactéries déplacent de manière naturelle des matériels génétiques entre organismes...
  • Les organismes sont altérés. Les OGM ne seraient donc pas naturels, car certaines de leurs propriétés ont été altérées dans une direction qui diverge de l’« organisme original » (résistance aux pesticides en particulier). Ne peut-on, dans ce cas, considérer que toute greffe et même le bouturage sont à rejeter ? Le chou-fleur et sa floraison retardée, OGM ? L’introduction dans le riz doré de trois gènes permettant la biosynthèse du bêta-carotène, précurseur de la vitamine A, est-elle une altération dommageable ? Le risque en ce domaine est de renvoyer à la notion de « pureté », qui lorsqu’elle est appliquée à la génétique évoque de sinistres souvenirs.
  • Les OGM menacent l’équilibre naturel. Les arguments avancés sont ceux de la vitesse des changements induits, qui pourraient perturber les mécanismes d’adaptation de la nature, et c’est l’incertitude qui conduit à bannir les OGM des champs et des assiettes. C’est cette incertitude qui justifie des études complémentaires, mais les risques sont-ils supérieurs à nombre de ceux que l’on accepte au nom des avantages qu’ils procurent, pour justifier une interdiction ?

Le changement climatique

Les objectifs de développement durable (ODD)  sont rassemblés dans l’agenda 2030. Cet agenda a été adopté par l’Organisation des Nations unies (ONU) en septembre 2015 après deux ans de négociations incluant les gouvernements comme la société civile. Il définit des cibles à atteindre à l’horizon 2030. Chacun des 17 objectifs est interdépendant des autres, la réussite de l’un concourant à celle des autres : lutter contre la menace du changement climatique influence notre façon de gérer nos ressources naturelles, parvenir à l’égalité des sexes ou à une meilleure santé contribue à éradiquer la pauvreté, et consolider la paix réduira les inégalités et contribuera à des économies florissantes.

Analyser chaque ODD selon la grille nature-culture serait fastidieux, mais il nous est apparu intéressant de développer le N̊ 13 : « Mesures relatives à la lutte contre le changement climatique ».

La pensée dominante sépare l’homme de son environnement et des autres espèces et, par la même occasion, pense la culture comme ce qui différencie l’homme du reste et entretient cet écart [19]. Cet écart perdure malgré les faits qui l’invalident, par exemple avec la prise de conscience de la souffrance des animaux (Descartes pensait qu’écorcher un animal ne pouvait lui causer de souffrance, puisqu’il était dépourvu d’âme). Ainsi, les hommes ont exploité les ressources naturelles pour se nourrir et se développer, ce qui a mené à l’industrialisation massive d’aujourd’hui, et à ses conséquences sur le changement climatique, qui menace notre bien-être et notre santé.

La production de biens et ressources culturels (peinture, littérature, photos, sciences, etc.) tend à faire considérer cette « consommation de la planète comme normale ». Cela donne lieu à ce que certains appellent la « seconde nature », faite de routes, de champs cultivés, de chemins de fer, de mines, de pipelines, de forages, de centrales électriques, de marchés à terme et de places financières structurant les flux de matières premières, d’énergie, de marchandises et de capitaux. C’est la source d’une confusion entre nature et culture. La théorie récente de l’anthropocène [20] intègre cette seconde nature, et recommande de mieux maîtriser encore la nature naturelle... Pour revenir au rôle que peut jouer la société dans le traitement du problème majeur que constitue le changement climatique, il serait utile de repenser le cadre de la « médiation culturelle », pour réussir à mieux capter l’attention de l’opinion publique. Par exemple, privilégier les expériences susceptibles d’augmenter la sensibilité aux enjeux écologiques, faire appel à l’intelligence collective pour créer des modes de vie adaptés à l’intégration de l’homme aux autres espèces vivantes. Il existe aujourd’hui un conflit entre notre train de vie et notre environnement. Le changement climatique remet en cause nos référents culturels. Ainsi, la croissance implique plus de consommation, plus de déchets, et aggrave la crise climatique. Et appliquer une politique de croissance représente un système culturel qui entend réguler les relations entre nature et culture. La médiation culturelle peut changer les modèles et faire en sorte que les objectifs soient plus respectueux de toutes les composantes du milieu de vie. Il serait judicieux de changer l’imaginaire collectif, qui se construit à partir de ce que chacun imagine au fil de ses pratiques culturelles, et qui pourrait à terme former la critique de notre regard sur la nature.

Conclusion

À partir des exemples choisis pour illustrer la question de l’opposition nature versus culture, il apparaît que, pour reprendre un distinguo de Michel Serres dans un entretien récent [21], « nous avons des informations, mais nous n’avons pas la connaissance ». Nous devons nous efforcer d’aller plus loin dans cette connaissance pour rester vigilant et penser la santé environnementale. Ne nous focalisons pas sur des risques peu étayés et concentrons nos efforts sur les sujets les plus préoccupants. Les propriétés uniques de l’épigénome, qu’il s’agisse de sa mise en œuvre au cours de fenêtres critiques telles que la vie intra-utérine, de son héritabilité, ou de la réversibilité possible de ses effets, ouvrent des perspectives pour la prévention des maladies. On en concevra des outils pour prédire, détecter et prévenir certaines maladies, et briser des chaînes de transmission intergénérationnelles, avec des avancées en termes de santé, de qualité de vie, d’environnement, autant qu’en termes économiques.

Remerciements et autres mentions

Financement : aucun ; liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.

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