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Environnement, Risques & Santé

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Cancer de la thyroïde : que sait-on du rôle de l’environnement chimique ? Volume 18, issue 6, November-December 2019

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L’augmentation de l’incidence du cancer de la thyroïde observée dans de nombreux pays depuis la fin des années 1970 pose inévitablement la question du rôle de la pollution, l’évolution des pratiques médicales (en particulier l’intensification du dépistage par échographie et cytoponction de carcinomes papillaires de très petite taille) ne paraissant pas pouvoir, à elle seule, expliquer cette tendance.

Les études expérimentales indiquent que de nombreux composés chimiques présents de manière diffuse dans l’environnement (air, eau, sol) et contaminant fréquemment la chaîne alimentaire interfèrent avec la fonction thyroïdienne, en agissant directement sur la glande (altérant la synthèse et la sécrétion d’hormones) ou sur des cibles périphériques (par exemple en entravant le transport plasmatique des hormones, leur liaison aux récepteurs cellulaires ou en accélérant leur catabolisme). Pour maintenir l’homéostasie thyroïdienne, l’activité de la glande est stimulée, ce mécanisme de régulation sollicité de manière soutenue conduisant à des remaniements tissulaires (hyperplasie diffuse ou nodulaire) favorisant la tumérogenèse.

L’épidémiologie indique que les pathologies thyroïdiennes bénignes (goître, nodules, adénomes) sont associées à un risque accru de cancer. Mais soutient-elle un rôle de l’exposition à des perturbateurs endocriniens dans ce processus ?

Les auteurs de cet article ont recherché dans la littérature publiée entre 2009 et 2019 (via PubMed, Web of Science et Scopus) des études (cas-témoins, transversales ou de cohortes) et articles de synthèse (revues, méta-analyses) fournissant des informations pour diverses substances auxquelles la population est régulièrement exposée (pesticides, phtalates, bisphénol A, polychlorobiphényles [PCB], composés perfluorés, retardateurs de flamme bromés, etc.). Ce balayage de la littérature met en évidence d’importantes lacunes de connaissance à différents niveaux.

De la biologie à la clinique

Pour bon nombre de contaminants, l’effet sur l’homéostasie thyroïdienne d’une faible exposition (dans la fourchette des concentrations environnementales) n’est pas établi. La raison peut être l’absence ou l’insuffisance des données (cas du bisphénol A dont les effets perturbateurs thyroïdiens chez l’homme sont méconnus alors que l’expérimentation animale suggère qu’il s’agit d’un facteur de risque de cancer de la thyroïde) ou l’incohérence des résultats de multiples études. L’association entre l’exposition environnementale aux PCB et les taux plasmatiques de thyroxine (T4) et de thyréostimuline (TSH) a ainsi fait l’objet de nombreuses investigations, mais la relation dose-réponse n’est toujours pas claire. Bien que la contamination de sources d’eau de boisson par du perchlorate (qui inhibe la captation des ions iodures par la thyroïde) soit problématique aux États-Unis, les études peinent à déterminer la limite inférieure de concentration induisant des effets antithyroïdiens.

Des études spécifiques sur le cancer manquent souvent pour des substances dont le lien avec les maladies de la thyroïde en général a pu être établi. C’est le cas par exemple des perfluorés dont les concentrations sériques (dernier quartile des concentrations d’acide perfluorooctanoïque [PFOA] pour les femmes et de sulfonate de perfluorooctane [PFOS] pour les hommes) sont associées à la prévalence (auto-rapportée) d’un traitement pour l’hyper- ou l’hypothyroïdie dans la National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES). Quand la relation avec le cancer de la thyroïde a été examinée, les informations relatives à une famille chimique sont généralement sporadiques. Ainsi, quelques pesticides seulement ont été considérés (alachlor, atrazine, chlorpyriphos, glyphosate, imazéthapyr et métolachlor) et la couverture est très partielle dans la classe des métaux (seuls les effets de l’exposition au cadmium et, dans une moindre mesure, au plomb ont fait l’objet d’études). Dans d’autres cas, comme celui des polybromodiphényléthers (PBDE) ou de la pollution atmosphérique, la relation avec le cancer de la thyroïde a été examinée dans de rares études qui n’étaient pas spécifiques de ce cancer, mais élargies à d’autres localisations (prostate, poumon, colon, ovaire, rein, vessie). Les auteurs notent enfin le manque d’explorations dans des régions volcaniques où un taux d’incidence élevé du cancer de la thyroïde a été rapporté, qui constituent des terrains propices à l’étude du mécanisme de cancérogenèse (pour lequel les connaissances sont encore très fragmentaires) et de plusieurs facteurs de risque potentiels (émissions de métaux lourds et autres rejets atmosphériques).

Un difficile mais nécessaire effort de recherche

De multiples facteurs contribuent certainement au développement d’un cancer de la thyroïde. L’implication de l’environnement chimique s’avère particulièrement difficile à cerner : les substances auxquelles le fonctionnement thyroïdien apparaît sensible sont nombreuses et les variations physiologiques et interindividuelles des taux circulants d’hormones compliquent la caractérisation de leurs effets. La piste de la filiation entre l’exposition à des perturbateurs thyroïdiens et le développement d’un cancer mérite pourtant un effort de recherche, considérant la sensibilité de la thyroïde durant les premières phases du développement de l’individu et le concept d’origine développementale des maladies. Des études d’exposition chronique ou subchronique à long terme à un mélange de substances seraient nécessaires. Seule l’acquisition de connaissances suffisamment solides peut permettre d’asseoir une véritable stratégie de prévention du cancer de la thyroïde.


* Fiore M1, Olivieri Conti G, Caltabiano R, et al. Role of emerging environmental risks factors in thyroid cancer: a brief review. Int J Environ Res Public Health 2019 ; 16 : 1185. doi : 10.3390/ijerph16071185

1 Environmental and Food Hygiene Laboratories (LIAA), Department of Medical Sciences, Surgical and Advanced Technologies « G.F. Ingrassia », University of Catania, Catane, Italie.

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