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Bulletin du Cancer

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L‘absence de l‘oncogène Fos induit le rhabdomyosarcome chez des souris p53 ‐‐\‐‐ Volume 91, issue 2, Février 2004

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Auteur(s) : Gilles L'Allemain

Par définition, un oncogène induit la formation de tumeurs. Mais une étude austro-suisse [1] vient de découvrir qu'éteindre un de ces gènes peut parfois provoquer la naissance d'une tumeur. Parallèlement, une réactivation peut, à l'opposé, inhiber la croissance tumorale, faisant paradoxalement jouer à cet oncogène un rôle de suppresseur de tumeur. 
La protéine Fos, qui est un composant majeur du facteur de transcription ubiquiste AP1, est essentielle pour la différenciation des ostéoclastes, ces cellules de l'os responsables de la résorption osseuse. Mais Fos a aussi une action oncogénique : sa forme virale est connue depuis plus de 10 ans pour induire chez la souris chondrosarcomes ou ostéosarcomes. Le travail décrit ici [1] a voulu comprendre le rôle de Fos dans un contexte où le suppresseur de tumeur p53 était absent. En conditions normales, p53 (alias Trp53), dont il a déjà été souvent question dans nos colonnes [2-4], joue son rôle de gardien du génome en bloquant le cycle cellulaire et/ou en induisant l'apoptose cellulaire. Dans les tumeurs humaines, p53 est en fait le gène le plus fréquemment muté. Les souris déficientes en p53 développent elles aussi un large spectre d'affections malignes avec une forte propension à développer des lymphomes. 
Ici, les auteurs ont inactivé l'oncogène Fos chez des souris déjà invalidées pour Trp53. La conséquence de cette double invalidation provoque, avec une pénétrance de 90 % chez la souris, la formation de sarcomes faciaux et orbitaux ressemblant morphologiquement au rhabdomyosarcome humain. Le rhabdomyosarcome est le sarcome des tissus mous le plus commun chez l'enfant. Il prend origine d'une dérégulation de croissance des cellules musculaires primitives. Sur les trois types décrits, l'un, le rhabdomyosarcome alvéolaire est très souvent le résultat de translocations chromosomiques de type t(1;13) ou t(2;13) dont la conséquence est la formation d'un facteur de transcription chimérique qui, en associant un membre de la famille PAX, Pax3 ou Pax7, à un membre de la famille Forkhead (FKHR), produit une protéine de fusion capable d'induire la prolifération [5] mais aussi d'inhiber l'apoptose par l'intermédiaire de la molécule Bcl-XL [6]. Les auteurs montrent en outre que la ré-expression de Fos dans les cellules animales n'altère pas le cycle cellulaire lui-même mais induit l'apoptose des cellules tumorales, ce qui suggère que c'est le blocage de l'apoptose qui contribue à la formation du rhabdomyosarcome. 
Dans une approche du mécanisme d'action de Fos, les auteurs ont abordé les variations du facteur de transcription Pax7, dont l'élévation dans des lignées humaines de rhabdomyosarcome avait été montrée par ailleurs. Alors que les animaux doublement invalidés possèdent des niveaux élevés de Pax7, la ré-expression de Fos induit une répression du gène Pax7, phénomène qui apparaît spécifique puisque, dans le même temps, d'autres gènes Pax ne varient pas [1]. De même, ni Bcl2, ni d'autres molécules de l'apoptose ne semblent touchées [1]. Les niveaux de Pax7 varient donc exactement et spécifiquement en sens inverse de ceux de Fos, faisant ainsi de la protéine Pax7 une cible de Fos et donc un intermédiaire moléculaire de choix dans la genèse du rhabdomyosarcome. 
Les modèles animaux pour l'étude du rhabdomyosarcome sont d'une part rares, et d'autre part limités par une faible pénétrance et une longue latence. À l'opposé, le système animal décrit ici [1] sera certainement très utile dans l'étude de la forme humaine du rhabdomyosarcome car de nombreuses caractéristiques communes y sont retrouvées (courte latence, localisation, histologie). De plus, les marqueurs immunologiques étant identiques entre les deux espèces, il est plus que vraisemblable que les protéines Fos et Pax7 jouent également chez l'homme un rôle primordial dans le développement du rhabdomyosarcome.

Références

1. Fleischmann A, Jochum W, Eferl R, Witowsky J, Wagner E. Rhabdomyosarcoma development in mice lacking Trp53 and Fos : Tumor suppression by the Fos protooncogene. Cancer Cell 2003 ; 4 : 477-82.

2. Douc-Rasy S, Benard J. Un nouvel aspect de la séquestration cytoplasmique de la protéine p53. Bull Cancer 2003 ; 90 : 380-2.

3. Soussi T. Pourront-ils guérir p53 ? Bull Cancer 2000 ; 87 : 131-2.

4. Hainaut P. Le gène suppresseur de tumeur Trp53 : 20 ans (et dix mille mutations plus tard). Bull Cancer 2000 ; 87 : 11-8.

5. Anderson MJ, Shelton GD, Cavenee WK, Arden KC. Embryonic expression of the tumor-associated PAX3-FKHR fusion protein interferes with the developmental functions of Pax3. Proc Natl Acad Sci USA 2001 ; 98, 1589-94.

6. Margue CM, Bernasconi M, Barr FG, Schafer BW. Transcriptional modulation of the anti-apoptotic protein BCL-XL by the paired box transcription factors PAX3 and PAX3/FKHR. Oncogene 2000 ; 19 : 2921-9.