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Synthèse publiée le : 13/05/2019

Synthèse : Efficacité énergétique et qualité de l'air intérieur

La qualité de l’air intérieur dans les bâtiments performants énergétiquement, qu’ils soient neufs ou récemment rénovés, pose question. En effet, une amélioration de l’étanchéité à l’air de l’enveloppe pour réduire les déperditions d’énergie peut conduire à une réduction du renouvellement d’air et corollairement à une dégradation de la qualité de l’air intérieur. Les études sur le sujet restent encore trop peu nombreuses.

 

En France, le secteur du bâtiment consomme 45 % de l’énergie et produit le quart des émissions de gaz à effet de serre. On estime que 7 millions de logements sont mal isolés sur les 36 millions que compte le parc français. Le bâtiment représente ainsi un gisement important d’économies d’énergie. La Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, Loi n° 2015-992 du 17 août 2015, a fixé un objectif de 500 000 rénovations énergétiques de logements par an. Cet objectif a été maintenu dans le plan national de rénovation énergétique des bâtiments, publié en avril 2018, qui ambitionne de faire baisser la consommation énergétique du parc de bâtiments de 15 % d’ici 2033. L’axe 2 du plan vise à massifier la rénovation des logements et à lutter contre la précarité énergétique.

Isoler un bâtiment, c’est réduire les fuites d’air parasites des murs, de la toiture/des combles, des ouvertures et du plancher bas, et donc diminuer le renouvellement d’air. Si parallèlement l’ouverture des fenêtres par les occupants n’est pas régulière, ce qu’a montré l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI), en particulier dans les écoles, et que le système mécanique de ventilation (VMC) est inopérant voire absent, la qualité de l’air du bâtiment peut être affectée. Or, la ventilation est le parent pauvre des travaux de rénovation énergétique. Dans l’enquête TREMI (Travaux de Rénovation Énergétique des Maisons Individuelles), publiée par l’ADEME en octobre 2018, la ventilation n’apparaît pas dans les dix bouquets de travaux les plus réalisés dans les maisons individuelles sur la période 2014-2016. Sur 5,1 millions de maisons rénovées pendant cette période, 2,7 millions ont changé leurs ouvertures tandis que seulement 620 000 ont installé un système de ventilation mécanique (90 %) ou amélioré celui existant (10 %). Ainsi, l’atteinte de niveaux ambitieux de performance énergétique peut entrer en contradiction avec la qualité de l’air intérieur (QAI). Dans la construction neuve, qui représente 1 % du parc de logements chaque année en France, les nombreux dysfonctionnements observés sur les systèmes mécaniques de ventilation lors des contrôles des règles de construction à réception posent question quant à la QAI dans ces bâtiments dont les fuites d’air parasites sont quasi nulles du fait de l’étanchéité de l’enveloppe.

 

État des connaissances

Les études relatives à la qualité de l’air dans les bâtiments performants énergétiquement restent encore peu nombreuses. Une revue de la littérature menée en 2016 par le Centre communautaire de recherche (JRC) confirme ce manque de données. De plus, la plupart des études réalisées n’ont mesuré que le dioxyde de carbone pour qualifier la QAI et très peu se sont intéressées aux substances chimiques et agents biologiques [1]. Les quelques études réalisées dans le monde ne montrent pas de dégradation de la QAI quand la rénovation énergétique est correctement menée et les systèmes de ventilation dimensionnés, installés et maintenus de façon satisfaisante. L’amélioration de la santé des occupants a été montrée dans des contextes de rénovation pour des foyers en situation de précarité énergétique.

En France, l’OQAI a été missionné pour conduire un programme dédié à l’étude de la qualité de l’air et du confort dans les bâtiments performants en énergie. Ses résultats montrent, pour la plupart des substances chimiques recherchées dans l’air des logements, des concentrations intérieures inférieures ou équivalentes à celles observées dans le parc français (campagne nationale de l’OQAI 2003-2005) [2]. Des concentrations intérieures plus élevées sont observées pour trois substances : l’hexaldéhyde, l’α-pinène et le limonène. Les facteurs associés à ces concentrations intérieures plus élevées n’apparaissent pas liés aux performances énergétiques des bâtiments, mais à la présence de bois (ossature, parquet, mobilier et isolant) et aux produits d’entretien. Le point critique mis en avant par l’OQAI concerne les moisissures, puisqu’un développement fongique actif est identifié dans 47 % des logements neufs ou rénovés étudiés contre 37 % pour le parc français. Dans les bâtiments en construction, la suppression des fuites d’air parasites alors que la VMC n’est pas encore en fonctionnement et les fenêtres fermées, combinée à la réduction des temps de séchage des matériaux, peut expliquer une forte humidité lorsque le bâtiment est mis hors d’eau-hors d’air et la présence de moisissures à réception. Dans les bâtiments rénovés, l’absence de prise en compte de la ventilation alors que l’étanchéité de l’enveloppe du bâtiment est renforcée limite l’évacuation de l’humidité générée par les occupants et leurs activités, et favorise ainsi le développement de moisissures. L’augmentation des concentrations intérieures en radon est l’autre point de vigilance par rapport à la QAI dans les logements rénovés. Toutes choses égales par ailleurs, les maisons dans lesquelles un changement de fenêtres à des fins d’économie d’énergie a été effectué ont des concentrations statistiquement significativement plus élevées que les maisons sans changement de fenêtres, d’après des mesures réalisées en Bretagne et Nouvelle-Aquitaine [3].

 

Quelles sont les connaissances nouvelles en 2018 ?

Les études publiées dans le monde en 2018 sur la qualité de l’air intérieur dans des bâtiments neufs ou rénovés énergétiquement restent très peu nombreuses.

Une étude menée dans 154 bâtiments en Suisse, principalement des maisons, montrent des concentrations intérieures en radon supérieures après rénovation énergétique (changement de fenêtres et/ou isolation des murs, du toit et du plancher bas), corroborant les observations faites en France [4]. Les médianes des concentrations intérieures mesurées avant et après rénovation étaient respectivement égales à 155 et 190 Bq/m3.

INSULAtE est une étude européenne d’ampleur s’étant intéressée à la QAI et au confort, avant et après rénovation énergétique dans respectivement 39 et 15 immeubles de logements en Finlande et en Lituanie [5,6]. Des immeubles de logements témoins, 7 en Finlande et 5 en Lituanie, ont également fait l’objet des mêmes instrumentations simultanément. Au total, plus de 200 logements ont été enquêtés en Finlande et une centaine en Lituanie. Des mesures des concentrations intérieures en dioxyde de carbone, monoxyde de carbone, dioxyde d’azote, BTEX (benzène, toluène, éthylbenzène, xylènes), formaldéhyde, radon et particules (PM2,5 et PM10) ont été réalisées. Les concentrations en bactéries et moisissures ont été mesurées dans les poussières déposées au sol. Les paramètres d’ambiance, température et humidité relative, et les débits d’air aux bouches de ventilation ont également été mesurés. Il n’a pas été observé de différence statistiquement significative des concentrations intérieures avant et après rénovation, à l’exception des concentrations en radon dans les logements lituaniens.

Aux États-Unis, des mesures des concentrations en radon, formaldéhyde et monoxyde de carbone, et des paramètres d’ambiance, température et humidité relative, ont été réalisées dans 514 maisons réparties dans 35 États [7]. Un échantillon de 325 maisons a fait l’objet de travaux d’isolation des parois pour améliorer l’étanchéité à l’air, tandis que 189 maisons ont constitué le groupe témoin. Les concentrations intérieures en radon ont statistiquement significativement augmenté dans les maisons rénovées, ce qui n’a pas été observé dans le groupe des maisons témoins. Les facteurs associés à cette augmentation, mis en évidence par un modèle de régression (p < 0,05), étaient la réduction des infiltrations d’air après rénovation, la température extérieure, le nombre de jours de pluie et l’installation d’une VMC. Les concentrations intérieures en formaldéhyde n’ont pas été significativement modifiées après rénovation. Enfin, concernant le monoxyde de carbone, à l’échelle de l’échantillon des maisons rénovées, il n’a pas été observé de différence statistiquement significative des concentrations moyennes et des occurrences de concentrations supérieures à 5 ppm ou à 10 ppm (pas de temps de 1 ou 5 minutes) après rénovation. Cependant, l’examen des maisons dans lesquelles des pics de concentrations à 35 ppm ont été observés avant rénovation montre que ces pics étaient probablement liés à la présence d’un garage attenant et que l’isolation du mur et des ouvrants séparant ce dernier de la maison a réduit le transfert des gaz d’échappement et limité les pics de concentrations en monoxyde de carbone.

En Chine, des mesures ont été réalisées dans 21 appartements d’un immeuble répondant aux exigences du label allemand Passivhaus [8]. Les concentrations intérieures en dioxyde de carbone, PM10 et PM2,5 étaient inférieures à celles mesurées dans 8 appartements « standards » voisins. Dans l’immeuble performant énergétiquement, la réduction des fuites d’air parasites limite la pénétration des particules de l’air extérieur tandis que la VMC double flux permet la filtration de l’air entrant et l’extraction des polluants intérieurs.

Enfin, l’impact des stratégies de rénovation énergétique sur la QAI a été évalué par modélisation [9]. Les concentrations intérieures en PM2,5 et dioxyde d’azote ont été modélisées pour un complexe résidentiel, avant et après différentes rénovations énergétiques incluant ou non une intervention sur la ventilation, à différentes saisons, tenant compte de différents types et intensités d’activités intérieures des occupants (tabagisme et cuisson d’aliments) et de l’ouverture ou non des fenêtres. Un total de 64 scénarios a été modélisé. Les calculs confirment les résultats expérimentaux, à savoir qu’une prise en compte de la ventilation améliore systématiquement les situations, tandis que l’isolation seule de l’enveloppe les dégrade.

 

Des projets de recherche sur l’énergie qui embarquent la QAI

L’année 2018 a vu des programmes de recherche relatifs à la performance énergétique intégrer la qualité de l’air intérieur et plus généralement la qualité sanitaire et le confort des occupants. Ceci constitue un réel progrès vers une approche globale des enjeux du bâtiment.

À l’échelle européenne, le projet ALDREN, Alliance for Deep Renovation in Buildings (https://aldren.eu/), vise à développer des méthodes incitant les gestionnaires de bureaux et d’hôtels à rénover énergétiquement leurs bâtiments. Des indicateurs de qualité de l’environnement intérieur (qualité de l’air, acoustique, éclairage, ambiance thermique), basés sur des mesures ou des modélisations avant et après rénovation, sont proposés pour permettre de vérifier qu’après la rénovation, la qualité sanitaire du bâtiment est assurée. L’intégration de la qualité de l’environnement intérieur dans la boîte à outils de la démarche de rénovation (choix des matériaux, attention particulière portée au système de ventilation, par exemple) doit, en outre, permettre d’aboutir à une amélioration de la qualité sanitaire et du confort, et ainsi de faire de ces derniers des leviers pour promouvoir la rénovation énergétique des bâtiments.

En France, le dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE), créé en 2006, repose sur une obligation de réalisation d’économies d’énergie imposée par les pouvoirs publics aux vendeurs d’énergie. La Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 a rendu possible la délivrance de ces certificats dans le cadre de la participation financière à des programmes d’information, de formation ou d’innovation lorsque leurs actions contribuent aux économies d’énergie. Le 1er janvier 2018, le dispositif des CEE est entré dans sa 4e période d’obligation. L’appel à programmes qui a suivi compte parmi ses lauréats le projet « Qualité sanitaire et énergétique des rénovations », ce qui marque une étape importante pour la prise en compte de la santé dans les actions d’amélioration des performances énergétiques des bâtiments. Dans le cadre de ce projet, des mesures de QAI vont être réalisées avant et après rénovation dans des logements, écoles et bureaux répartis dans toute la France, et ainsi contribuer à l’amélioration des connaissances sur les relations entre performance énergétique et qualité de l’environnement intérieur.

Liens d'intéret
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Références

[1] Kephalopoulos S, Geiss O, Barrero-Moreno J, D’Agostino D, Paci D. Promoting healthy and energy efficient buildings in the European Union - National implementation of related requirements of the Energy Performance Buildings Directive (2010/31/EU). Report EUR 27665 EN. European Union, 2016. https://ec.europa.eu/jrc/en/publication/eur-scientific-and-technical-research-reports/promoting-healthy-and-energy-efficient-buildings-european-union-national-implementation

[2] Derbez M, Wyart G, Le Ponner E, Ramalho O, Ribéron J, Mandin C. Indoor air quality in energy-efficient dwellings: levels and sources of pollutants. Indoor Air 2018, 28 ; 318-338.

[3] Le Ponner E, Collignan B, Ledunois B, Mandin C. Déterminants des concentrations intérieures en radon dans les logements français. Environ Risque Santé 2019, 18 ; 33-40.

[4] Pampuri L, Caputo P, Valsangiacomo C. Effects of buildings’ refurbishment on indoor air quality. Results of a wide survey on radon concentrations before and after energy retrofit interventions. Sustain Cities Soc 2018 ; 42 : 100-106.

[5] Leivo V, Prasauskas T, Du L, et al. Indoor thermal environment, air exchange rates, and carbon dioxide concentrations before and after energy retrofits in Finnish and Lithuanian multi-family buildings. Sci Total Environ 2018 ; 621 : 398-406.

[6] Haverinen-Shaughnessy U, Pekkonen M, Leivo V, et al. Occupant satisfaction with indoor environmental quality and health after energy retrofits of multi-family buildings: Results from INSULAtE-project. Int J Hyg Environ Health 2018 ; 221 : 921-928.

[7] Pigg S, Cautley D, Francisco PW. Impacts of weatherization on indoor air quality: A field study of 514 homes. Indoor Air 2018 ; 28 : 307-317.

[8] Wang Z, Xue Q, Ji Y, Yu Z. Indoor environment quality in a low-energy residential building in winter in Harbin. Build Environ 2018 ; 135 - 194-201.

[9] Underhill LJ, Fabian MP, Vermeer K, et al. Modeling the resiliency of energy-efficient retrofits in low-income multifamily housing. Indoor Air 2018 ; 28 : 459-468.