JLE

Contaminants

Bruit et vibrations

YearBook 2019

Aleksandra Piotrowski,
Gaëlle Guillossou

Service des Études Médicales,
EDF

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Synthèse publiée le : 13/05/2019

Synthèse : Effets extra-auditifs du bruit

Lors de la conférence de Parme en 2010, les ministres européens de l’écologie avaient prié instamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de formuler de nouvelles lignes directrices. C’est enfin chose faite en 2018. Dans ce nouveau rapport de l’OMS Europe sur le bruit, le seuil de risque de développer des maladies cardio-vasculaires pour les personnes exposées au bruit aérien est abaissé à 52 dB(A) Lden.Les lignes directrices sont établies par sources de bruit et non plus par effets sanitaires, ce qui est plus compatible avec la gestion, et le bruit dû aux éoliennes est inclus ainsi que le bruit de loisirs (pour les effets auditifs) en plus du bruit dû au trafic (aérien, ferroviaire et routier).

 

Un certain consensus

Les conséquences sanitaires d’une exposition au bruit ne peuvent pas être réduites aux seuls effets auditifs. Le corpus de données épidémiologiques indique une corrélation[1] entre l'exposition de la population au bruit ambiant et des effets néfastes sur la santé humaine. Cette thèse est confortée par des études mécanistiques qui permettent d’établir un lien de causalité entre l’exposition au bruit et la survenue d’effets sanitaires. Le bruit peut ainsi provoquer des effets extra-auditifs immédiats comme la gêne (terme alloué au bruit, annoyance en anglais), la perturbation du sommeil et de l’apprentissage scolaire. À long terme, le bruit accroît le risque de maladies cardiovasculaires et métaboliques notamment via la gêne chronique et les troubles de sommeil [1]. D’autres approches ont aussi été énoncées consistant à opposer les effets physiologiques (maladies cardiovasculaires) aux effetspsychosociaux (la gêne) [2], ou bien à comparer les effets spécifiques (perturbation du sommeil) vs non spécifiques (stress) [3].

 

Figure 1 : Résumé des effets extra-auditifs du bruit sur la santé humaine adaptée d’OMS 2018 [1]

 

Des difficultés méthodologiques

Les effets extra-auditifs sont nombreux, ils ne sont pas tous spécifiques et sont imbriqués les uns aux autres. Ils peuvent ainsi être imputés à d’autres facteurs tels que la pollution atmosphérique, l’exposition aux solvants, le tabagisme [1]. Ces facteurs de confusioncontribuent largement à la difficulté de caractériser les effets liés au bruit seul. De plus, sa perception est par nature éminemment subjective et variable. La notion physique d'un son est exprimée en décibel en revanche l’expression de sa perception, subjective, n’est pas totalement satisfaisante. La plupart des études épidémiologiques utilisent désormais des indicateurs moyennés Lden et/ou Lnight qui prennent en compte l’exposition au bruit à différents moments de la journée (den pour day/evening/night[1]). Ils sont fournis pour une exposition sonore au niveau de la façade la plus exposée.

 

Des nouveautés en 2018

Entre 1980 et 2018, l’OMS a publié 5 rapports sur les effets d’une exposition au bruit sur la santé humaine. Dès 1980 l’OMS écrivait que le stress lié au bruit peut provoquer une fatigue chronique susceptible d'aboutir à des troubles de santé non spécifiques.

Les derniers travaux de l’OMS de cette année se veulent très opérationnels pareillement aux recommandations de l’agence française sanitaire ANSES en 2013 [2]. Les deux organismes ont ainsi analysé les études exposant la population générale, en excluant celles portant sur le bruit au travail. En revanche, les lignes directrices de 2018 incluent de nouvelles sources de bruit, à savoir les éoliennes et le bruit dû aux loisirs, en complément du bruit lié au trafic (aérien, ferroviaire et routier) (figure 2).

Figure 2 : Les plus bas seuils des lignes directrices de l’OMS de 2018

 

De nouveaux effets néfastes sont également abordés par l’OMS, tels le diabète, les maladies métaboliques, les effets indésirables sur le fœtus et le nouveau-né, la santé mentale et le bien-être. Cependant, en l’absence de relation dose-réponse aucune ligne directrice n’a pu être proposée pour ces effets.

 

Les recommandations de l’OMS sont déterminées en fonction du niveau de preuve scientifique (cf. méthodologie GRADE[1]) mais aussi de l’ampleur de l’enjeu sanitaire associé à l’exposition (maladies cardio-vasculaires, effectif concerné).

 

Le choix, par les experts, des critères d’acceptabilité des risques était guidé par la proportion de la population affectée,la gravité des effets attendus et la puissance de la preuve. Par exemple pour la gêne, qui est considérée comme un effet sur la santé moins grave que les troubles de sommeil, le critère d’acceptabilité du risque est établi à 10 % de personnes fortement gênées. Alors qu’il est de 3 % pour la perturbation du sommeil, de 5 % pour les maladies cardiovasculaires. Concernant les troubles de l’apprentissage, un retard peut avoir un impact plus tard dans la vie mais il ne peut être prédit avec une grande précision. Le groupe d’expert a estimé qu’un rallongement d'un mois dans l'acquisition de ces compétences était le critère d’acceptabilité pertinent. Ces critères d’acceptabilité ont permis de fixer les nouvelles valeurs guides de l’OMS (cf. colonne de gauche dans les tableaux 2a et 2b).

Valeur Seuil en dB (A)

Critère d'acceptabilité

Effet sur la santé

Lieux de mesure

Indicateurs acoustiques

Source

Recommandations

Preuves scientifiques

59

5 %

Cardiopathie ischémique

Façade

Lden

Routier

+++

+++

55

délai d'un mois

Diminution des performances scolaires

Façade

Lden

Aérien

+++

++

54

10 %

Gêne chronique

Façade

Lden

Ferroviaire

+++

++

53

10 %

Gêne chronique

Façade

Lden

Routier

+++

++

52

5 %

Cardiopathie ischémique

Façade

Lden

Aérien

+++

-

45

10 %

Gêne chronique

Façade

Lden

Aérien

+++

++

45

10 %

Gêne chronique

Façade

Lden

Eolienne

+

+

 

Tableau 1a : Lignes directrices de l’OMS 2018 concernant l’exposition au bruit diurne [1]

 

Seuil dB (A)

Critère d'acceptabilité

Effet sur la santé

Lieux de mesure

Indicateur

acoustique

Source

Recomman-dations

Preuves scientifiques

45

3 %

Perturbation sommeil

Façade

Lnight

Routier

+++

++

44

3 %

Perturbation sommeil

Façade

Lnight

Ferroviaire

+++

++

40

3 %

Perturbation sommeil

Façade

Lnight

Aérien

+++

++

Tableau 2b : Lignes directrices de l’OMS 2018 l’exposition au bruit nocturne [1]

En outre, les études épidémiologiques ont permis mesurer l’association entre une exposition et la survenue de maladie et/ou de perturbation, gêne (Risque Relatif RR ou Odds Ratio OR).

 

Bruit routier

Ainsi, pour une augmentation de 10 dBon observe une augmentation du risque :

  • d’infarctus du myocarde de 8 % (RR=1,08 ; IC à 95 % : 1,01-1,15)
  • de forte gêne de près de 3 fois (OR = 3,03 ; IC à 95 % : 2,59 -3,55)
  • de perturbation du sommeil nocturne de 2 fois (OR=2,13 ; IC à 95 % : 1,82-2,48)

 

Bruit aérien

Pour une augmentation de 10 dBon observe une augmentation du risque :

  • d’infarctus du myocarde de 9 % (RR=1,09 IC 95 % : 1,04-1,15)
  • de forte gêne de près de 5 fois (OR=4,78, IC 95 % : 2,27-10,05)
  • de perturbation du sommeil nocturne de près de 2 fois (OR=1.94 IC 95 % : 1,61-2,33)

 

Bruit ferroviaire

Aucune étude significative n'est disponible sur l'incidence d’infarctus du myocarde lié à l’exposition au bruit ferroviaire. En revanche, les derniers travaux montrent que pour une augmentation de 10 dB on observe une augmentation du risque :

  • de forte gêne d’environ 3 fois et demie (OR=3,53 ; IC 95 %: 2,83-4,39).
  • de perturbation du sommeil nocturne de près de 3 fois (OR = 3,06 ; IC à 95 % : 2,38-3,93).

 

Bruit éolien

Deux publications établissant un lien entre l'exposition au bruit d'éoliennes et l’apparition d’effet sur la santé ont été retenues par l’OMS. Les méthodologies employées étant trop différentes, ces études n’ont pas pu être combinées (pooled en anglais) pour réaliser une méta-analyse. Elles ont cependant permis à l’OMS d’établir une recommandation à 45 dB Lden basée sur le critère d’acceptabilité du risque de 10 % de personnes fortement gênées.

 

Discussion et conclusion

Grâce aux enquêtes nationales dont celle conduite en France[4], le bruit issu du trafic routier est aujourd’hui reconnu comme la principale source de gêne, généralement suivi de près par le bruit de voisinage. Le bruit aérien est également une source substantielle de gêne. Le bruit ferroviaire et le bruit des éoliennes sont moins souvent rapportés.

L’emploi d’indicateurs mesurant l’énergie totale reçue en dB(A) sur une période est retenu par l’OMS pour prédire les effets sanitaires à long terme. En revanche, la recherche peine à se saisir d’indicateurs pour des bruits événementiels (pic sonore). Or, ce type de bruit nocturne peut clairement provoquer des réveils et d’autres réactions physiologiques. C’est donc une attente forte des populations exposées à ces bruits. En est témoin notamment l’article 36 du Pacte ferroviaire de 2018 qui intègre un « rapport présentant et analysant, notamment en termes de coûts, l'intégration d'indicateurs dits "événementiels" au sein de la réglementation [5] » mais également les recommandations de l’ANSES de 2013 [2].

Le bruit ambiant est un problème environnemental important de santé publique par l’effectif, de population exposée. Seule la pollution atmosphérique est plus importante en termes de morbidité.

Dans son rapport de 2018, l'OMS reconnaît la nécessité d'élaborer des modèles complets pour quantifier les effets de multiples expositions sur la santé humaine, et déplore que la recherche n’intègre que sporadiquement les effets combinés de plusieurs sources de bruit ou/et à d’autres polluants.

Nonobstant, les dernières recommandations sont résolument pragmatiques, et interrogent l'efficacité des interventions mises en œuvre essentiellement en Europe occidentale (périmètre de l’étude).

 

Bibliographie

[1] Organisation Mondiale de la Santé. Environmental Noise Guidelines for the European Region. Copenhagen : OMS, 2018.

[2] Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail (ANSES). Évaluation des impacts sanitaires extra-auditifs du bruit environnemental, in Rapport d’expertise collective. Maisons-Alfort : ANSES, 2013.

[3] Organisation Mondiale de la Santé. Le Bruit. Vammala : OMS, 1980 (Critères d'hygiène de l'environnement n°12).

[4] Lambert J, Philipps-Bertin C. Perception and attitudes to transportation noise in France: a national survey. In: Proceedings. 9th International Congress on Noise as a Public Health Problem 2008 (ICBEN 2008), Foxwoods, USA, 21–25 July 2008. Zurich: International Commission on Biological Effects of Noise, 2008.

[5] Loi n° 2018-515 du 27 juin pour un nouveau pacte ferroviaire. Journal officiel de la République française 0174 ; 28 juin 2018

 

Notes

[1] Grading of recommendations Assessment, Development and Evaluation.

[1]day/evening/night veut dire jour/soir/nuit.

[1] Lorsque l’intervalle de confiance d’une étude épidémiologique contient la valeur caractéristique de l’effet nul (risque relatif de 1 ou différence de 0), il n’est pas possible d’exclure le fait que la vraie valeur soit cet effet nul. Ainsi la différence observée ne peut pas être considérée comme statistiquement significative. Dans de très nombreuses études sur le bruit, l’intervalle de confiance contient un risque relatif égal à 1.