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ANALYSE D'ARTICLE

Prise de poids pendant la grossesse et exposition néonatale aux polluants organiques persistants

Cette étude indique que l’importance de la prise de poids au cours de la grossesse est un déterminant de la charge de l’organisme du nouveau-né en polluants organiques persistants. Elle incite à encourager les femmes à respecter les objectifs de gain pondéral recommandés pour alléger cette charge.

This study indicates that the amount of weight gain during pregnancy determines the burden of persistent organic pollutants in newborns. To lessen this burden, women should be encouraged to follow weight gain guidelines.

Plusieurs études dans la population générale ou chez des personnes obèses ont montré que les variations du poids étaient associées à une modification des concentrations plasmatiques de polluants organiques persistants (POP), qui augmentent en cas d’amaigrissement et diminuent en cas de prise de poids. Ce phénomène est expliqué par le rôle de compartiment de réserve du tissu adipeux pour ces substances toxiques lipophiles qui s’y accumulent. L’inflation du tissu adipeux augmente sa capacité de stockage, tandis qu’une fonte de la masse grasse entraîne le relargage des POP dans la circulation sanguine.

Bien que la grossesse s’accompagne d’une prise de poids plus ou moins importante, l’impact du gain pondéral gestationnel sur l’exposition néonatale aux POP n’a pas encore été beaucoup étudié. Les quelques travaux qui ont examiné son influence sur les concentrations de POP dans le sang et le lait maternels ou dans le sang du cordon ombilical rapportent des résultats variables. L’effet modificateur potentiel de l’indice de masse corporelle (IMC) de prégrossesse n’a pas été considéré, alors qu’il l’a été dans cette nouvelle étude. Elle se distingue également des précédentes par la prise en compte des recommandations de l’Institut de médecine de l’Académie nationale des sciences aux États-Unis (IOM), qui préconise une prise de poids gestationnelle comprise entre 11,25 et 15,75 kg pour les femmes ayant un IMC de pré-grossesse dans la norme, plus importante (entre 12,6 et 18 kg) pour les femmes initialement maigres, et plus modeste pour celles qui sont en surpoids (entre 6,75 et 11,25 kg) et obèses (entre 4,95 et 9 kg).

 

 

Étude au sein du projet INMA

La relation entre la prise de poids pendant la grossesse et les concentrations de POP dans le sang du cordon a été explorée dans la cohorte mères-enfants espagnole INMA (Infancia y Medio Ambiente – Environment and Childhood) constituée entre mai 2004 et juin 2007 par le recrutement de 494 femmes au premier trimestre de leur grossesse (entre 10 et 13 semaines d’aménorrhée). Des échantillons de sang du cordon ont pu être prélevés au cours de 325 accouchements : le 4,4’-DDE (dichlorodiphényldichloroéthylène, métabolite du dichlorodiphényltrichloroéthane [DDT]) était le POP le plus abondant (taux de détection = 99,7 % et concentration médiane = 180 ng/g lipide), suivi par l’hexachlorobenzène (HCB) détecté dans 97,6 % des échantillons (concentration médiane = 50 ng/g) et le bêta-hexachlorocyclohexane (ß-HCH : 90,5 % des échantillons, 17 ng/g). Trois polychlorobiphényles (PCB) étaient retrouvés dans plus de 90 % des échantillons : le PCB- 153 (concentration médiane = 47 ng/g), le PCB-138 (31 ng/g) et le PCB-180 (27 ng/g). Ces niveaux étaient comparables à ceux mesurés dans d’autres populations européennes au cours de la même période et plus bas que ceux mesurés entre 1996 et 2000, ce qui reflète l’impact des mesures

de restriction ou d’interdiction des POP prises depuis plusieurs décennies.

Les polybromodiphényléthers (PBDE) étaient moins souvent détectables que les polluants organochlorés et leurs niveaux de concentration étaient beaucoup moins élevés (le BDE-153 était le congénère le plus fréquent [43 % des échantillons] et le BDE-209 celui dont la concentration était la plus élevée [en moyenne 4,1 ng/g]). Le gain pondéral gestationnel, défi ni comme la différence de poids entre la dernière mesure avant l’accouchement et le poids de pré-grossesse déclaré par les femmes était en moyenne égal à 14,1 ± 5,2 kg (de -2,9 à + 34 kg). Il excédait les recommandations de l’IOM pour 55 % des femmes en surpoids et obèses, et pour 37 % des femmes normopondérales et maigres. À l’inverse, respectivement 9, 30, 14 et 20 % des femmes maigres, normopondérales, en surpoids et obèses avaient pris moins de poids que recommandé.

L’âge maternel, l’IMC de pré-grossesse, la parité, le niveau d’études, la classe sociale et la durée des périodes précédentes d’allaitement ont été considérés comme des facteurs de confusion potentiels, ainsi que l’apport alimentaire en poisson (incluant poisson maigre et gras, thon en boîte et produits de la mer), déterminé sur la base d’un questionnaire de fréquence alimentaire semi-quantitatif.

 

Effets du gain pondéral

Les analyses mettent en évidence des associations inverses entre le gain de poids durant la grossesse et les concentrations de POP dans le sang du cordon après ajustement sur les facteurs prédictifs identifiés (l’âge, l’IMC de pré-grossesse, le niveau d’études et la consommation de poisson), ainsi que les concentrations maternelles de POP mesurées à l’entrée, indicatives des concentrations de base avant la période de prise de poids importante. Les associations sont significatives pour la somme des PCB, le 4,4’-DDE et le ß-HCH et frôlent le seuil de significativité statistique pour l’HCB, tandis qu’il s’agit d’une tendance non significative pour la somme des BDE et le 4,4’-DDT.

Les analyses stratifiées selon l’IMC de pré-grossesse révèlent des tendances variables selon le type de POP pour les enfants nés de femmes maigres : les niveaux de PBDE tendent à diminuer et ceux d’organochlorés tendent à augmenter avec la prise de poids. Dans les autres catégories d’IMC, une relation inverse est observée entre la prise de poids et les concentrations d’organochlorés comme de PBDE.

Les analyses stratifiées selon la concordance entre la prise de poids et les recommandations de l’IOM indiquent que la charge de l’organisme chez le nourrisson est plus importante lorsque les recommandations n’ont pas été atteintes, que quand elles ont été respectées ou dépassées, avec des différences significatives pour les niveaux d’HCB, de PCB et de 4,4’-DDE. Ces résultats évoquent une mobilisation de la réserve adipeuse chez les femmes initialement maigres et/ou qui ne prennent pas suffisamment de poids au cours de leur grossesse pour faire face aux besoins exigés par le développement du placenta, du liquide amniotique, de l’utérus, du tissu mammaire et du fœtus, en particulier au troisième trimestre de grossesse. Ils soutiennent les recommandations de l’IOM et indiquent que le gain pondéral gestationnel est une covariable à prendre en compte dans les études épidémiologiques examinant les effets de l’exposition aux POP sur la santé des enfants.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Vizcaino E1, Grimalt JO, Glomstad B, Fernandez-Somoano A, Tardon A. Gestational weight gain and exposure of newborns to persistant organic pollutants. Environ Health Perspect 2014; 122: 873-9.

doi: 10.1289/ehp.1306758

 

1 Department of Environmental Chemistry, Institute of Environmental Assessment and Water Research, Barcelone, Espagne.