JLE

ANALYSE D'ARTICLE

Pollution liée au trafic et infarctus du myocarde : un rôle du benzène ?

Une relation entre les concentrations atmosphériques de benzène et le risque de survenue d’infarctus du myocarde est mise en évidence, pour la première fois, dans cette étude réalisée dans la zone urbaine de Strasbourg, qui en appelle d’autres pour confirmer ses résultats.

A relation between atmospheric concentrations of benzene and the risk of myocardial infarction is demonstrated for the first time in this study conducted in the Strasbourg metropolitan area. Confirmation of these results is needed.

La littérature accumulée depuis une quinzaine d’années soutient fortement l’existence d’une relation entre l’exposition à la pollution générée par le trafic routier et la survenue d’un infarctus du myocarde (IDM). Si toutes les études ne s’accordent pas sur la responsabilité de chacun des polluants du mélange, une méta-analyse de 34 d’entre elles, publiée en 2012, indique un effet des particules (fractions PM10 et PM2,5), du carbone-suie ou des fumées noires, du monoxyde de carbone (CO), des oxydes d’azote (NOx) et du dioxyde de soufre (SO2). L’association avec les PM10, principalement émises par les véhicules équipés d’un moteur Diesel, est celle qui est la plus couramment mise en évidence. En revanche, l’effet du benzène, contenu dans l’essence, n’a pas été spécifiquement étudié. De rares données en milieu professionnel suggèrent que l’exposition à des niveaux de concentration élevés augmentent le risque d’arythmie cardiaque. Dans le cadre de la pollution liée au trafic, une seule étude, réalisée à Taïwan, rapporte une association entre les concentrations atmosphériques de benzène et la mortalité cardiovasculaire. L’exposition était estimée sur la base des données d’une seule station de mesure pour l’ensemble de la population résidant dans un rayon de 10 km alentour.

Ce travail est le premier à investiguer les effets du benzène, à côté de ceux des polluants urbains habituellement considérés, sur le risque d’IDM.

 

Population et méthode

L’étude a été menée dans l’agglomération de Strasbourg, qui compte une population d’environ 450 000 habitants et est découpée en 190 îlots de recensement (qui constituent les mailles de base pour les informations démographiques et socioéconomiques). Un total de seize îlots regroupant moins de 250 habitants ont été exclus pour respecter les règles de confidentialité des données recueillies lors des recensements.

Tous les cas d’IDM, fatals ou non, survenus entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2007 chez des sujets âgés de 35 à 74 ans ont été pris en compte. La source était le registre des cardiopathies ischémiques du Bas-Rhin, mis en place dans le cadre du programme MONICA (Multinational monitoring of trends and determinants in cardiovascular diseases) coordonné par l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Ce registre fournit un certain nombre de données individuelles : âge et sexe, antécédents de cardiopathie ischémique et adresse de résidence au moment de l’infarctus. Les adresses ont pu être géocodées pour 2 134 cas (sur 2 141 au total) et l’exposition a été estimée à l’échelon de l’îlot de recensement.

Un modèle de dispersion, alimenté par les inventaires d’émissions, les données atmosphériques de dioxyde d’azote (NO2), de PM10, d’ozone (O3), de CO, de SO2 et de benzène. Sa performance a été testée en comparant les valeurs annuelles moyennes prédites aux données des stations de surveillance pour le NO2, l’O3 et le SO2, et les prédictions horaires et annuelles aux concentrations mesurées par échantillonnage passif en différents lieux et jours de l’année pour les PM10, le NO2 et le benzène. La modélisation s’est révélée fiable pour tous les polluants à l’exception du SO2 qui n’a pas été inclus dans les analyses. Les associations entre les niveaux des différents polluants (concentration moyenne sur 24 heures pour le NO2, les PM10, le CO et le benzène, valeur maximale d’une moyenne glissante sur 8 heures pour l’O3) et les IDM ont été examinées à l’aide d’un modèle cas croisé dans lequel les jours témoins étaient les mêmes jours de la semaine du même mois que celui de l’événement. Les jours fériés, les périodes d’épidémies de grippe et les données météorologiques (température et pression atmosphérique maximales, humidité relative moyenne) ont été prises en compte. Les analyses ont été réalisées sans décalage temporel, avec un décalage d’1 jour (indicateurs de pollution du jour précédant l’IDM) et en moyennant les niveaux de polluants du jour et de la veille de l’IDM.

 

Mise en évidence d’un effet du benzène

L’augmentation d’1 μg/m3 de la concentration atmosphérique de benzène est associée à une augmentation de 10,4 % (IC95 = 3-18,2) du risque d’IDM le même jour. L’excès de risque est également significatif le lendemain (+ 7,2 % [0,3-14,5]) et avec la moyenne des concentrations atmosphériques du jour et de la veille de l’IDM (10,7 % [2,7-19,2]). Les analyses stratifiées selon l’âge et le sexe montrent un effet particulièrement important du benzène sur les IDM touchant des hommes de 35 à 54 ans (augmentation concomitante du risque = 15,3 % [1-31,7]) et des femmes de 55 à 74 ans (+ 29,6 % [10,3-52,2] en considérant la moyenne du jour et de la veille de l’infarctus).

Les associations avec les autres polluants sont moins fortes et les effets estimés se situent dans les fourchettes données par la littérature. Des associations positives significatives sont observées entre le NO2 et le risque d’IDM chez les hommes de 35 à 54 ans et entre le NO2 et les PM10 chez les femmes de 55 à 74 ans. Les résultats concernant le benzène nécessitent d’être reproduits dans d’autres études et expliqués sur le plan mécanistique. Les associations révélées par ce travail pourraient être dues à un facteur de confusion qui n’a pas été contrôlé, comme le niveau des PM2,5. S’il s’avérait que les concentrations atmosphériques de benzène augmentent le risque de survenue d’IDM, les politiques sanitaires devraient prendre en compte, non seulement les émissions des moteurs Diesel, mais également celles des moteurs à essence.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Bard D1, Kihal W, Schillinger C, Fermanian C, Ségala C, Glorion S, et al. Traffic-related air pollution and the onset of myocardial infarction: Disclosing benzene as a trigger ? A small-area case-crossover study. PloS ONE 9(6): e100307.

doi: 10.1371/journal.pone.0100307

 

1 Department of Epidemiology and Biostatistics, École des hautes études en santé publique (EHESP), Rennes et Sorbonne Paris Cité, France.