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ANALYSE D'ARTICLE

Pollution liée au trafic et incidence des démences : étude longitudinale à Umeå

Les résultats de cette étude dans la principale ville du nord de la Suède suggèrent une association entre l’exposition à la pollution atmosphérique générée par le trafic routier et l’incidence des démences. L’ampleur de l’effet de la pollution apparaît comparable pour la maladie d’Alzheimer et pour la démence vasculaire. Ces observations indiquent un fort besoin de recherche dans ce domaine, d’autres études prospectives étant souhaitées.

The results of this study in the largest town in northern Sweden suggest an association between exposure to traffic-related air pollution and the incidence of dementia. The pollution appears to have a similar effect on both Alzheimer disease and vascular dementia. Further research in this field is needed, preferably in other prospective studies.

Un nombre croissant d’études suggère que la pollution due au trafic affecte le fonctionnement cérébral des sujets vieillissants et participe au déclin cognitif lié à l’âge. Les limites communes à ces travaux épidémiologiques sont leur nature transversale, une évaluation clinique fondée uniquement sur des tests cognitifs et une mesure relativement grossière de l’exposition, à l’échelon du quartier d’habitation. D’où l’intérêt de cette étude prospective dans la ville d’Umeå où le niveau de la pollution urbaine est assez contrasté, au sein d’une région – le nord de la Suède – caractérisée par une faible pollution de fond.

Les adresses des participants à l’entrée dans l’étude ont été géocodées et leur exposition résidentielle aux oxydes d’azote (NOx), marqueurs de la pollution routière, a été estimée à l’aide d’un modèle de type land-use regression (résolution 50 m x 50 m) spécifiquement développé pour Umeå, selon la méthode retenue pour le projet ESCAPE (European Study of Cohorts for Air Pollution Effects). Le modèle a été construit à partir de mesures réalisées entre novembre 2009 et juin 2010 dans 36 zones couvrant la surface de la ville (échantillonnages d’une durée de quatre semaines) et sa valeur prédictive était élevée (corrélation de 76 % entre les concentrations mesurées et prédites). Par ailleurs, un soin particulier a été porté au dépistage et au diagnostic des cas de démence qui se sont déclarés dans la cohorte au cours du suivi, et de nombreux facteurs de confusion potentiels ont été contrôlés.

 

Population de l’étude

Ce travail s’appuie sur les données de l’étude Betula, dont l’objectif était d’explorer différents aspects du vieillissement, incluant les signes précoces et les facteurs de risque du déclin cognitif et de la démence. La construction de la cohorte a débuté avec la collecte des données de 1 000 sujets inclus entre 1988 et 1990 (constituant l’échantillon S1). Lors de leur première évaluation de suivi, entre 1993 et 1995, deux échantillons supplémentaires ont été constitués, l’un (S2) de 995 participants, et l’autre (S3) de 963 sujets. Leurs structures (répartition en termes d’âge et de sexe) étaient identiques à celle du premier échantillon, au moment de son inclusion pour S1, et au moment de la première évaluation de suivi pour S2. Les sujets du groupe S2 ont été réévalués une seule fois cinq ans plus tard (entre 1998 et 2000), tandis que le suivi s’est prolongé à intervalles de cinq ans jusqu’en 2013-2014 pour ceux des autres groupes (soit jusqu’à six évaluations pour les sujets S1 et cinq pour les sujets S3). Chaque évaluation (d’entrée et de suivi) comportait une enquête de santé (questionnaire, examen clinique et examens biologiques), ainsi qu’une batterie de tests permettant d’évaluer de manière exhaustive les processus cognitifs et mnésiques. Le diagnostic de démence était posé lorsque les critères diagnostiques du DSM-IV (manuel diagnostique et statistique américain des troubles mentaux) étaient atteints, ainsi qu’au vu d’éléments supplémentaires (dossiers médicaux, données de neuro-imagerie) continuellement fournis par les hôpitaux et centres de santé du comté. Tous les diagnostics ont été établis par le même gérontopsychiatre, et les dossiers des sujets diagnostiqués déments jusqu’en 2011 ont été réévalués dans une démarche d’assurance qualité incluant la confirmation du type de démence (maladie d’Alzheimer, de Parkinson, démence vasculaire, à corps de Lewy, alcoolique, frontotemporale ou autre) après un minimum de cinq ans d’évolution.

Pour cette analyse, les auteurs ont considéré la période de 15 ans comprise entre la première évaluation de suivi (1993-1995) et la cinquième (2008-2010). La population de départ comportait les 845 sujets de l’échantillon S1 présents et indemnes de démence à la première évaluation, ainsi que les sujets des échantillons S2 et S3 (au total : n = 2 803). Ont été exclus 973 participants de moins de 55 ans (à faible risque de développer une démence dans cet intervalle de 15 ans) et 24 autres dont l’adresse n’a pas pu être géocodée. La population finale s’élevait à 1 806 sujets, parmi lesquels 191 ont développé une démence d’Alzheimer et 111 une démence vasculaire.

 

Analyses et résultats

Quatre catégories d’exposition ont été définies, correspondant aux quartiles de la concentration des NOx (moyenne annuelle). Le premier quartile (jusqu’à 9 μg/m3) a été pris pour référence et les hazard ratio (HR) de démence dans les deuxième (9 à moins de 17 μg/m3), troisième (17 à moins de 26 μg/m3) et dernier (≥ 26 μg/m3) quartiles ont été estimés après ajustement sur différentes covariables (données de la première évaluation de suivi) : l’âge, le niveau d’études, l’activité physique, le tabagisme, la consommation d’alcool, l’indice de masse corporelle, le rapport taille-hanches, et l’allèle ApoE4 (facteur de risque génétique de maladie d’Alzheimer).

Le risque de démence est augmenté dans les deux derniers quartiles de concentration des NOx, avec un résultat statistiquement significatif dans le troisième (HR = 1,48 [IC95 = 1,03-2,11]) et frôlant le seuil de significativité dans le dernier (HR = 1,43 [IC95 = 0,998-2,05]). Les estimations sont de même ampleur pour la démence d’Alzheimer et la démence vasculaire, avec des HR dans le groupe le plus exposé respectivement égaux à 1,38 (0,87-2,19) et 1,47 (0,83-2,61).

Ces résultats sont peu modifiés par un ajustement supplémentaire sur trois facteurs de risque de démence (antécédents d’hypertension artérielle, de diabète et d’accident vasculaire cérébral) qui n’avaient pas été inclus dans le modèle principal en raison de leur possible rôle de facteurs intermédiaires dans la relation entre l’exposition à la pollution et la démence. Les hazard ratio de démence (des deux types confondus) sont alors 1,49 (1,04-2,14) dans le troisième quartile et 1,60 (1,02-2,10) dans le dernier.

En excluant l’échantillon S2, réévalué une seule fois, les estimations avec le modèle principal sont un hazard ratio de démence égal à 1,58 (0,98-2,53) dans le troisième quartile (n’incluant que 52 cas) et égal à 1,71 (1,08-2,73) dans le groupe le plus exposé (62 cas).

Si les associations observées dans cette étude sont de nature causale, la pollution liée au trafic pourrait être un facteur de risque important de démences d’Alzheimer et vasculaire. Des facteurs de confusion résiduels, comme le bruit, et un biais de classement dû à une mesure de l’exposition individuelle restant imparfaite, ne peuvent toutefois pas être écartés.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Oudin A, Forsberg B, Nordin Adolfsson AN, et al.Traffic-related air pollution and dementia incidence in Northern Sweden: a longitudinal study. Environ Health Perspect 2016; 124: 306-12.

Occupational and Environmental Medicine, Public Health and Clinical Medicine, Umea University, Suède.

doi: 10.1289/ehp.1408322