JLE

ANALYSE D'ARTICLE

Pollution liée au trafic et développement d’une obésité chez l’enfant

Montrant un effet significatif de la concentration atmosphérique d’oxydes d’azote sur l’évolution de l’indice de masse corporelle entre les âges de 5 et 11 ans, cette étude californienne suggère que l’exposition à la pollution générée par le trafic pourrait favoriser l’obésité infantile.

This study from Southern California shows that atmospheric concentration of nitrogen oxide have a significant effect on growth in BMI between the ages of 5 and 11 and suggest that exposure to traffic pollution promotes childhood obesity.

Si les preuves d’une relation entre la qualité de l’environnement résidentiel et la corpulence s’accumulent, elles proviennent généralement d’études transversales qui n’excluent pas la possibilité d’une causalité inverse : les individus qui se soucient de leur poids n’ont-ils pas tendance à se concentrer dans des lieux qui leur permettent d’avoir un style de vie actif et une alimentation saine ?

Tenant compte des difficultés d’interprétation des travaux dans ce domaine, les auteurs de cette nouvelle étude ont apporté un soin particulier à l’élaboration de leurs modèles statistiques.

 

Cadre conceptuel

L’hypothèse à tester était la suivante : la pollution atmosphérique générée par le trafic routier favorise la constitution d’une obésité chez l’enfant.

Sur la base de la littérature expérimentale et épidémiologique existante, les différents mécanismes qui pourraient expliquer que la pollution atmosphérique contribue au développement d’une obésité ont été considérés. L’hypothèse inflammatoire est soutenue par des travaux chez la souris, qui montrent que celles qui reçoivent un régime gras et respirent un air pollué développent une adiposité viscérale et une insulinorésistance plus importantes que des souris témoins nourries de la même façon mais respirant un air pur. Il est par ailleurs envisageable que le mélange de polluants contienne des perturbateurs endocriniens obésogènes. Les affections cardiorespiratoires favorisées par l’exposition à la pollution pourraient limiter l’activité physique et faciliter ainsi la prise de poids, comme le suggèrent des travaux sur l’asthme. En dehors des émissions, le trafic, par son caractère dangereux, dissuade les déplacements à pied ou à vélo, surtout s’agissant d’enfants, réduisant ainsi leur activité physique. L’insécurité perçue est également source de stress, comme le bruit et les vibrations, et les effets du stress sur le sommeil, le profil de sécrétion du cortisol et les prises alimentaires pourraient favoriser la prise de poids.

Les différentes voies mécanistiques ont été rassemblées en une représentation graphique des facteurs possiblement impliqués dans le lien entre la pollution et l’obésité. Cette représentation a permis d’identifier les facteurs de confusion à prendre en compte et de construire des modèles robustes. L’interprétation des résultats de l’étude s’en trouve facilitée. Ainsi, bien qu’il soit possible que les familles recherchant un mode de vie sain privilégient les zones résidentielles les moins polluées, le poids de cet effet de sélection dans la trajectoire pondérale des enfants a été réduit et l’influence de l’exposition à la pollution est apparue plus clairement.

 

Population et données utilisées

Les auteurs ont utilisé les données d’une cohorte de 4 550 enfants constituée avec la participation de 45 établissements scolaires du Sud de la Californie. Les enfants ont été inclus en 2002 et 2003 alors qu’ils avaient entre 5 et 7 ans et leur croissance staturopondérale a été suivie annuellement. Les parents ont rempli un questionnaire détaillé à l’entrée de leur enfant dans la cohorte (portant en particulier sur sa santé respiratoire, ses activités sportives, son exposition à la fumée de tabac et les caractéristiques du logement) et les informations ont été actualisées à chaque étape du suivi.

Les adresses ont été géocodées et l’environnement résidentiel a été caractérisé en termes de proximité de parcs et d’établissements de restauration rapide, d’offre de programmes récréatifs, de connectivité des rues et d’indice de végétation. Des variables socio-économiques à l’échelon du quartier (proportion de chômeurs, taux de pauvreté et taux de criminalité) ont également été considérées. L’exposition résidentielle à la pollution liée au trafic a été estimée à l’aide d’un modèle de dispersion des concentrations d’oxydes d’azote (NOx), pris comme indicateur des émissions des véhicules et bien corrélé aux concentrations de monoxyde de carbone, de dioxyde d’azote et de particules fines. La densité du trafic dans un rayon de 150 m autour du domicile a été déterminée sur la base des données de l’année 2000.

 

Influence de l’exposition à la pollution

L’indice de masse corporelle (IMC) moyen était de 16,79 ± 2,81 kg/m2 à l’entrée et de 19,35 ± 4,21 kg/m2 cinq ans après. Les analyses avec le modèle de base (incluant le sexe, l’origine ethnique et les variables socio-économiques) montrent que son évolution est influencée à la fois par le niveau des NOx et par la densité du trafic. Cependant, l’effet de la densité du trafic sur la courbe de croissance de l’IMC n’est pas significatif dans le modèle complet prenant en compte l’asthme de l’enfant, le niveau d’études des parents, la langue utilisée pour répondre au questionnaire (anglais ou espagnol), la connectivité des rues, l’indice de végétation et le nombre d’établissements de restauration rapide dans un rayon de 500 m autour du domicile, ainsi que l’offre de programmes récréatifs dans les 5 km. L’effet du niveau de concentration des NOx demeure en revanche significatif. Il se traduit par une différence de 13,6 % du taux moyen annuel de croissance de l’IMC entre les enfants les moins exposés (concentrations inférieures au 10ème percentile) et les plus exposés (concentrations supérieures au 90ème percentile). L’effet s’accumule dans le temps et aboutit à un écart de 0,4 à 0,5 point de l’IMC aux âges de 10-11 ans. L’absence d’informations concernant l’alimentation des enfants est un point faible de cette étude. Les auteurs estiment toutefois que l’impact de variables diététiques non contrôlées sur les résultats a été limité, en s’appuyant sur une précédente analyse dans une population d’enfants plus âgés (entre 10 et 18 ans) de la même région, qui n’a pas montré d’association entre différents indicateurs d’exposition à la pollution et l’apport calorique total ou en chacun des macronutriments.

 

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Commentaires

Le développement de l’obésité dans la quasi-totalité des pays de la planète est un vrai sujet de santé-environnement, avec un enjeu de santé publique de plus en plus important.

Arnaud Basdevant, nutritionniste à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et président du Plan National Obésité 2010-2013, considère que l’obésité est une maladie chronique de l’adaptation aux récentes évolutions des modes de vie, une maladie de la transition économique qui touche plus particulièrement les personnes socialement vulnérables. Les modifications de l’alimentation et la réduction de l’activité physique avec leurs déterminants sociétaux, et la prédisposition génétique à la prise de poids, source de différence de susceptibilité individuelle, sont certes des facteurs essentiels, mais les développements récents de la recherche documentent un rôle de l’environnement qui semble largement aussi important.

Les deux études épidémiologiques présentées ici, l’une sur l’effet des NOx atmosphériques chez l’enfant, l’autre sur l’exposition à la lumière la nuit chez les femmes, sont dans la lignée d’autres études de grande qualité – mais qui ont toutes leur point de faiblesse. Ces études, complétées par certaines recherches menées avec des animaux de laboratoire, permettent d’incriminer le stress, le sommeil, certains médicaments, des virus, le microbiote intestinal, l’exposition à des produits chimiques notamment aux perturbateurs endocriniens.

Quel peut donc être le mécanisme biologique de cette association entre l’augmentation de la masse du tissu adipeux et des facteurs environnementaux aussi variés ? Il a été récemment découvert que le tissu adipeux est composé pour un tiers seulement d’adipocytes (susceptibles d’augmenter en volume et en nombre) et pour les deux tiers restants de cellules souches, de lymphocytes et d’autres cellules du système immunitaire, de cellules vasculaires et de terminaisons nerveuses. Ainsi, le stockage des graisses serait l’objet d’un dialogue entre le tissu adipeux et le reste de l’organisme (notamment le système nerveux central et l’intestin, mais aussi

le foie, le cœur et les vaisseaux) via des messages hormonaux, immunitaires ou nerveux. Cet aperçu de la complexité du phénomène biologique rend plus acceptable pour l’esprit la complexité des causes de l’épidémie d’obésité. C’est un enjeu considérable pour la recherche dans les années à venir.

Jean Lesne

 ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Jerrett M1, McConnell R, Wolch J, et al. Traffic-related air pollution and obesity formation in children: a longitudinal, multilevel analysis. Environmental Health 2014; 13: 49.

doi: 10.1186/1476-069X-13-49

 

1 Division of Environmental Health Sciences, School of Public Health, University of California, Berkeley, États-Unis.