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ANALYSE D'ARTICLE

Pollution atmosphérique : des nanoparticules de magnétite découvertes dans le cerveau. Quel impact sur notre santé ?

Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs britanniques et mexicains a mis en évidence la présence de nanoparticules de magnétite dans des échantillons de cerveaux humains. Ils suggèrent une origine exogène et posent la question du lien avec la maladie d’Alzheimer. Il s’agit là d’une première contribution pour défricher ce vaste champ d’étude, et des travaux complémentaires doivent être conduits pour confirmer ou infirmer ces conclusions.

A multidisciplinary team of British and Mexican researchers has detected magnetite nanoparticles in human brain samples. They suggest endogenous sources and indicate a possible link with Alzheimer’s disease. This preliminary contribution prepares the ground for the further work needed in this vast field of study to confirm or contradict these findings.

En juillet 2016, une équipe pluridisciplinaire de chercheurs britanniques (Universités de Lancaster, Oxford, Glasgow, Manchester) et mexicains (Unités de recherche de l’Université de Mexico), a publié l’article Magnetite pollution nanoparticles in the human brain sur le site du PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, journal dont l’Impact factor en 2015 est de 9,4).

Cette équipe a analysé, notament par magnétométrie et microscopie électronique à très haute résolution, 37 échantillons de cerveaux humains (sept femmes et 30 hommes, âgés de 3 à 92 ans décédés d’accident, et habitant Manchester ou Mexico). Les auteurs n’apportent cependant pas de renseignements quant à la date de décès (récente ? plus éloignée dans le temps ?), l’état clinique de ces personnes préalablement au décès et aux conditions environnementales (mode de vie, profession, statut tabagique, etc.) auxquelles elles ont pu être exposées.

De « nombreuses » nanoparticules de magnétite (un oxyde de fer ferrimagnétique – Fe3O4 – également nommé tétraoxyde de trifer) associées à d’autres métaux de transition (comme le platine, le cobalt, le nickel, et possiblement le cuivre) ont été retrouvées dans ces 37 échantillons. Leur morphologie cristalline et leurs caractéristiques sont comparables à celles mettant en jeu de fortes températures de combustion et/ou de friction.

Ces nanoparticules ne pouvant donc être biominéralisées, du fait des températures en jeu, les chercheurs suggèrent une origine exogène, environnementale, liée à l’inhalation de particules en suspension dans l’air ambiant urbain pollué et une pénétration jusqu’au système nerveux via les axones du nerf olfactif. Leur forme arrondie les différencierait des particules de magnétite angulaires, octaédriques endogènes. Joseph Kirschvink [1] a montré, la première fois en 1992, la présence de magnétite dans le cortex cérébral humain, d’origine biogénique, endogène, avec une distribution homogène, et également de maghémite (de formule γFe2O3). Si la présence de magnétite dans les cerveaux animaux, notamment des oiseaux, explique leur perception du champ magnétique pour s’orienter dans leur migration, qu’en est-il du cerveau humain ? S’agirait-il d’un marqueur séquellaire de la phylogenèse ? Des travaux ont, par ailleurs, montré une association entre la concentration en particules fines et l’incidence des démences de type Alzheimer, sans que nous sachions quelles sont les caractéristiques qui seraient biologiquement pertinentes.

Sur la base d’études antérieurement publiées (celle de Kirschvink [1] et d’autres publiées dans les années 2000), les auteurs formulent alors l’hypothèse d’une relation entre ces particules de magnétite et l’incidence de la maladie d’Alzheimer. La formation, dans le cortex cérébral de plaques séniles constituées de protéine Bêta-amyloïde associée aux formes ionisées de certains métaux de transition (tels les ions Fe2+, Cu2+), génèrerait des espèces réactives de l’oxygène (ROS) responsables d’un stress oxydant dommageable pour le cerveau. De plus, la magnétite agirait spécifiquement sur la production de formes toxiques de β-amyloïde.

Cet article a donc abondamment été relayé dans les médias internationaux et français ces dernières semaines, car ses implications, sous réserve de validation ultérieure, pourraient être importantes.

 

Cependant, ce travail soulève plusieurs questions

L’origine environnementale de la magnétite et des autres métaux de transition observés n’est notamment pas démontrée car l’historique d’exposition des cas n’est pas disponible. Plusieurs sources pourraient être en cause. A côté de la pollution atmosphérique liée aux transports (vieillissement des pots catalytiques, des systèmes de freinage, etc.) et à l’activité industrielle (sidérurgie, métallurgie, etc.), les ambiances de travail et l’air intérieur ne sont pas exempts de ces particules retrouvées par exemple dans la poudre des toners d’imprimantes, ou lors d’activités de bricolage, de chauffage, de cuisson.

Les particules de taille nanométrique ne sont pas mesurées en routine par les réseaux de surveillance de la qualité de l’air, quel que soit le pays car cela requiert une métrologie fine et coûteuse. Il en va de même de la mesure des particules magnétiques, qui doit être réalisée dans des conditions exemptes de toute contamination magnétique extérieure. Pourtant, certains travaux récents s’y intéressent et montrent que les PM10 en suspension dans l’air ambiant urbain, et dans certains milieux d’exposition (enceintes ferroviaires souterraines notamment, en lien avec les systèmes de freinage[2]) sont riches en oxydes de fer.

 

Restent plusieurs questions en suspens :

  • Comment passer de l’échelle micrométrique des PM10 de l’air ambiant, à l’échelle nanométrique des particules retrouvées dans le cortex cérébral par les auteurs de ce travail, et quels sont les process impliqués ?
  • Le dépôt ou même la seule présence de ces nanoparticules exogènes de magnétite dans d’autres organes, tels le cœur, le foie (organe d’élimination) ou les poumons (organes impactés par la pollution particulaire) n’ont pas été investigués dans la présente étude.
  • Ces particules magnétiques ont-elles sur ces organes une action délétère ?
  • Le fer, minéral essentiel à l’organisme humain, tient un rôle capital dans de nombreuses fonctions biologiques. La présence de magnétite « endogène » dans le cerveau humain, retrouvée également dans certaines espèces animales (poissons, oiseaux, etc.), n’entraîne pas l’apparition de troubles neurologiques.
  • La translocation le long du nerf olfactif, à travers la lame criblée de l’ethmoïde, par des particules de l’ordre du nanomètre a été investiguée et publiée (principalement sur des populations animales – singes, rats[3]). Concernant les particules ultrafines de la pollution atmosphérique, cette possibilité de passage vers le cortex cérébral humain est encore discutée, et les mécanismes exacts mis en jeu sont toujours à l’étude.
  • Enfin, l’implication des polluants atmosphériques dans l’apparition et le développement des pathologies neurodégénératives est un sujet d’intérêt croissant [4] mais les polluants et les mécanismes impliqués, les possibles « effets cocktail » des expositions multiples justifient un effort de recherche.

L’article de Maher et al. contribue à défricher ce vaste champ d’étude, mais des travaux complémentaires doivent être conduits pour confirmer ou infirmer ses conclusions.

Gaëlle Guillossou, Jacques Lambrozo, Paul Tossa

 

Publication analysée :

Maher BA1, Ahmed IL, Karloukovski V, et al. Magnetite pollution nanoparticles in the human brain. Proc Natl Acad Sci USA 2016 ; 113 (39) : 10797–801.

doi: 10.1073/pnas.1605941113

 

Références

[1] Kirschvink J.L., Kobayashi-Kirschvink A., Woodford B.J. Magnetite biomineralization in the human brain. Proc Natl Acad Sci USA. 1992;89:7683-7687.
[2] Anses. Pollution chimique de l’air des enceintes de transports ferroviaires souterrains et risques sanitaires associés chez les travailleurs. Avis de l’Anses. Rapport d’expertise collective. Septembre 2015. Anses : 2015.
[3]Elder A., Gelein R., Silva V. Translocation of inhaled ultrafine manganese oxide particles to the central nervous system. Environ Health Perspect. 2006;114:1172-1178. 8
[4] Inserm. Maladie d’Alzheimer : enjeux scientifiques, médicaux et sociétaux. Editions Inserm, 2007.

 

Gaëlle Guillossou
Jacques Lambrozo
Paul Tossa