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ANALYSE D'ARTICLE

Mécanismes psychologiques contribuant au « syndrome éolien »

Listant les mécanismes psychologiques qui pourraient contribuer aux symptômes décrits par certains voisins de parcs d’éoliennes, les auteurs de cet article appellent les décideurs politiques, les médecins et les personnes affectées à ne pas se satisfaire de l’idée d’un lien de cause à effet avant qu’il soit prouvé.

Listing the psychological mechanisms that may contribute to symptoms described by some people living close to wind farms, the authors of this article warn policymakers, physicians, and those affected against accepting the idea of a causal link before adequate proof is found.

De tout temps, l’introduction d’une nouvelle technologie a déclenché des craintes pour la santé, qui se sont atténuées avec sa banalisation pour se reporter sur un nouveau sujet de préoccupation. L’histoire montre aussi que l’apparition de symptômes physiques a souvent été attribuée à une nouvelle technologie sans qu’on puisse en faire la preuve. L’électrosensibilité et l’hypersensibilité chimique multiple sont deux exemples contemporains de syndromes rapportés à une cause que les tests en double-aveugle ne parviennent pas à mettre en évidence.

Le « syndrome éolien » pourrait entrer dans ce cadre. Il est rapporté au bruit des turbines : d’une part, le bruit audible, dont on sait qu’il peut entraîner des problèmes de santé via le stress et des perturbations du sommeil, et, d’autre part les infrasons qui auraient un retentissement direct sur la santé, sans mécanisme explicatif clair à ce jour. Ce syndrome a été récemment défi ni par trois critères dont le premier est le fait de vivre à moins de 5 km d’une éolienne, d’avoir constaté une altération de son état de santé depuis son installation, une amélioration des symptômes en s’éloignant de plus de 5 km, et leur réapparition en revenant. Le deuxième critère est la survenue ou l’aggravation, depuis la mise en service de l’éolienne, d’au moins trois des « symptômes » suivants : altération de la qualité de vie, perturbations du sommeil, gêne augmentant le niveau de stress ou de détresse morale, et désir de quitter son logement temporairement ou définitivement pour retrouver bien-être et sommeil de qualité. Ressentir au moins trois des 18 autres symptômes possibles (par exemple sensations vertigineuses, irritation ou fatigue) est nécessaire pour remplir le troisième critère. L’auteur de cette définition suggère d’écarter d’autres causes de stress dans l’environnement domestique, ainsi qu’un trouble de l’humeur, mais estime qu’il existe peu d’alternatives au fait que des symptômes présents depuis l’installation du parc à proximité du domicile et sensibles à l’éloignement soient dus aux éoliennes.

Pour les auteurs de cet article, plusieurs mécanismes psychologiques méritent pourtant d’être considérés.

 

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Commentaires

Les auteurs abordent le très délicat domaine de la confrontation entre l’expression de troubles exprimés par des individus et l’absence de démonstration objective de lien de causalité avec le danger supposé. Il s’agit, sur la base de l’exemple des éoliennes mais en citant d’autres situations conflictuelles passées ou présentes, de convaincre le lecteur qu’il existe également des cas d’effets nocebo dans le champ santé-environnement.

Cette synthèse bibliographique montre que des études ont été menées pour tenter de confirmer et expliquer certains des troubles exprimés mais que, dans la majorité des cas, les facteurs d’influence sont trop nombreux. L’article rappelle aussi, à travers cet exemple des éoliennes, à quel point les chercheurs travaillent activement sur les effets négatifs liés à une technologie mais très peu sur ses effets positifs. Rédigé par des psychologues, il illustre bien, sans pour autant nier la douleur ressentie par les sujets, à quel point le dialogue, la confiance et la coopération sont indispensables entre les citoyens et les évaluateurs de risques afin de résoudre les troubles liés à l’introduction des nouvelles technologies dans la vie des citoyens.

Yves Levi

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L’effet nocebo

Comme son opposé – l’effet placebo –, l’effet nocebo est bien connu en médecine pour participer aux résultats d’un traitement. Les deux reposent sur l’attente, d’effets bénéfiques, pour le premier, d’effets indésirables pour le second. L’effet nocebo est également décrit pour d’autres types d’expositions que médicamenteuses. Des symptômes associés à une intolérance alimentaire non prouvée médicalement peuvent ainsi survenir quand la personne croit avoir été exposée au facteur déclenchant. Il en est de même avec les simulacres d’exposition aux émissions d’un téléphone portable ou d’une borne Wi-Fi chez les électrosensibles.

Deux expérimentations chez des volontaires sains montrent qu’attendre, de l’exposition, qu’elle produise des symptômes concourt à leur survenue. Dans la première, les 54 sujets ont été répartis en deux groupes, l’un visionnant une vidéo de personnes relatant des symptômes attribués à la présence d’un parc éolien, l’autre une vidéo de scientifiques expliquant que le bruit éolien est inoffensif. Ils ont été ensuite soumis à deux séquences successives de 10 minutes d’exposition à des infrasons, l’une réelle, l’autre simulée. Avant et après chaque séquence, une liste de 12 symptômes leur était soumise. Leurs fréquence et intensité étaient comparables à l’issue des deux séquences dans chaque groupe, mais significativement supérieures dans celui qui avait visionné les témoignages de syndromes éoliens. La seconde expérimentation a inclus deux groupes de 30 sujets qui ont regardé une vidéo expliquant, soit que le bruit éolien était un phénomène naturel bienfaisant pour l’état physique et le moral, soit qu’il était nocif. Ces assertions ont été largement suivies : respectivement 90 et 77 % des participants se sont sentis mieux et moins bien après avoir écouté une séquence de bruit éolien. 

 

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Commentaires

En choisissant d’étudier les effets ressentis en présence de technologies nouvelles comme ceux associés aux éoliennes terrestres, les auteurs couvrent plus largement les relations entre émergence des technologies et perception de leurs effets qui peuvent être liés aux nuisances classiques (comme le bruit), les infrasons ou à des aspects psychologiques Le cas du bruit est assez bien traité en termes de connaissances avec les pollutions acoustiques autour des aéroports. Il y alors possibilité de relations causes-effets. En revanche, les infrasons n’ont pas fait l’objet d’études approfondies nombreuses (sauf pour faire vibrer les ponts !) et l’on se situe dans l’incertain. Or, un risque prend d’autant plus d’importance qu’il est méconnu. L’émergence d’une question liée à un risque (réel ou perçu) n’est pas un phénomène naturel et spontané ; elle requiert un questionnement, généralement soutenu par une préalerte, une prémonition, un raisonnement par analogie, une information médiatique (réelle ou fictive), etc.

Appliquée en situation réelle, liée à des problèmes émergents impliquant la santé, se pose l’orientation des questionnements, fortement axée sur des aspects bénéfices/risques, sans que d’autres domaines fassent l’objet de l’attention des « participants », tous obsédés, à juste titre par les risques pour leur santé et pour celle de leurs descendants. Des éléments épars, dont certains sont vérifiables, peuvent être associables pour créer une opinion, une représentation explicative « totalisante ». La volonté éventuelle de formes de manipulation, relevant de l’acte de « foi » sur les remèdes à tous leurs maux peut s’appuyer sur la perception des messages et sur leur transformation en sens et en valeurs et donc en certitudes sur des risques. Dans le même temps, les connaissances accumulées peuvent être mises en doute parce qu’elles ne servent pas la cause par des simulacres de méthodes scientifiques et par diverses manipulations de brouillage des messages...

Les imaginaires constituent donc une puissante matrice d’action, dans la mesure où ils dessinent l’horizon des pensables et des angoisses associées qui, par-là, orientent la stratégie des acteurs impliqués dans le champ et naturellement la désirabilité ou le rejet conscient ou inconscient de la technologie en cause. C’est bien ce champ qui est exploré avec raison et crédibilité par les auteurs.

Mais, pour en revenir aux éoliennes – en prenant l’exemple des premières maisons solaires autarciques, où l’on avait constaté que les volontaires étaient ravis de vivre dans des conditions parfois difficiles parce qu’ils avaient choisi idéologiquement de s’engager dans une telle opération – il aurait été intéressant de regarder si le pourcentage des personnes en situation de mal-être était plus faible pour les propriétaires ou les partisans de cette technologie que pour ceux qui la subissent...

Jean-Claude André

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Les autres facteurs à considérer

Alors que l’effet nocebo peut expliquer la survenue de symptômes aigus rapidement après une exposition, des symptômes plus chroniques, très banaux, digestifs, musculo-squelettiques ou d’allure neurologique, peuvent être attribués à tort à une cause environnementale, d’autant plus qu’ils ne trouvent pas de cause médicale et que l’absence d’explication est difficile à accepter. Des symptômes de maladies organiques ou psychiatriques bien codifiées peuvent également être mis sur le compte d’une exposition environnementale, comme l’indiquent trois études chez des électrosensibles qui montrent qu’entre 14 et 33 % d’entre eux présentent des symptômes relatifs à une maladie réelle.

Le niveau d’inquiétude face aux nouvelles technologies et aux risques environnementaux est par ailleurs un déterminant important de l’expression de plaintes. L’inquiétude provoque en elle-même des manifestations physiques inconfortables et accroît l’attention que le sujet leur porte. L’effet de l’inquiétude n’a pas été étudié dans le cas particulier du syndrome éolien, toutefois plusieurs études ont établi un lien entre l’importance de la gêne ressentie, mais pas du niveau objectif de bruit mesuré, et l’expression de symptômes (tels que tension, irritabilité, céphalées et réveils nocturnes).

L’influence des différents facteurs sociaux qui participent à la perception du risque, incluant la couverture médiatique et l’interaction avec des groupes d’activistes, ne doit pas non plus être sous-estimée. L’analyse de 421 articles sur les éoliennes, publiés dans 17 journaux disponibles au Canada, montre que 94 % d’entre eux parlent de leurs effets sanitaires négatifs éventuels. Une analyse de la distribution spatiotemporelle des plaintes liées aux parcs éoliens en Australie indique que la plupart d’entre elles sont apparues depuis la diffusion de messages alertant sur leurs possibles dangers. Dans 13 cas sur 18, ces plaintes ont été rapportées à la suite de campagnes menées sur le site par des groupes d’opposants. Enfin, plusieurs enquêtes auprès de personnes résidant à proximité d’un parc éolien ont corrélé l’importance de la gêne due au bruit éolien à une attitude négative vis-à-vis des éoliennes en général, de leur impact visuel sur l’environnement en particulier, et au fait que les éoliennes étaient visibles depuis la maison, tandis que la gêne était négativement corrélée au bénéfice économique tiré de la présence des éoliennes.

 

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Rubin GJ1, Burns M, Wessely S. Possible psychological mechanisms for “wind turbine syndrome”. On the windmills of your mind. Noise & Health 2014; 16: 116-22.

doi: 10.4103/1463-1741.132099

 

1 King’s College London, Department of Psychological Medicine, Londres, Royaume Uni.