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ANALYSE D'ARTICLE

Marqueurs de risque cardiométabolique chez des enfants de 4 ans en relation avec l’exposition in utero aux POP

Cette étude est la première à rechercher, chez de jeunes enfants, des effets de l’exposition prénatale aux polluants organiques persistants (POP) sur un ensemble de facteurs de risque cardiométaboliques. De faibles niveaux d’exposition à deux pesticides organochlorés au cours de la vie intra-utérine semblent augmenter à la fois l’adiposité et la pression artérielle.

This is the first study to examine the effects in young children of prenatal exposure to persistent organic pollutants (POPs) on a range of cardiometabolic risk factors. Low intrauterine exposure levels to two organochlorine pesticides seem to increase both adiposity and blood pressure.

Quelques études chez l’adulte ont rapporté des associations entre la charge de l’organisme en certains POP et le niveau de la pression artérielle (PA) ou celui des lipides sanguins. La possibilité que l’exposition prénatale aux POP influence ces paramètres chez l’enfant n’avait jamais été examinée avant ce travail dans une cohorte de naissances grecque. La recherche s’efforçant d’explorer l’hypothèse d’un environnement chimique obésogène, les critères de jugement habituellement utilisés dans les études longitudinales sont la rapidité de la prise de poids au cours des premiers mois de vie, la valeur de l’indice de masse corporelle (IMC) et la prévalence du surpoids et/ou de l’obésité.

Les auteurs de cette nouvelle étude ont repris ces critères, associés à d’autres, pour une estimation plus complète de l’effet de l’exposition prénatale aux POP sur les facteurs prédictifs du risque cardiométabolique à l’âge adulte.

 

Population et données analysées

La cohorte Rhea a été constituée entre 2007 et 2008 par le recrutement de 1 610 habitantes de la région d’Héraklion venues passer leur première échographie prénatale (autour du 3e ou 4e mois de grossesse). Les concentrations de 10 POP (six polychlorobiphényles [PCB], l’hexachlorobenzène [HCB], les dichlorodiphényltrichloroéthane [DDT] et dichlorodiphényldichloroéthylène [DDE, métabolite du DDT] et un polybromodiphényléther [PBDE-47]) ont été déterminées chez 1 135 participantes dans un échantillon de sang prélevé à l’inclusion.

Des 1 459 enfants issus d’une grossesse monofœtale suivie jusqu’à son terme, 879 étaient présents à la visite médicale des 4 ans (les précédentes collectes d’informations ayant eu lieu aux âges de 9 mois et d’1 an). Cette visite incluait des mesures anthropométriques (taille, poids, tour de taille et épaisseur des plis cutanés tricipital, sous-scapulaire, supra-iliaque et quadricipital), ainsi que la mesure de la PA au repos (les valeurs moyennes de la PA systolique [PAS] et diastolique [PAD] ont été établies à partir de cinq mesures réalisées à une minute d’intervalle). Un prélèvement sanguin a pu être effectué chez 785 enfants (qui n’étaient pas à jeun) pour la détermination des niveaux de lipides (cholestérol total et fraction HDL), de protéine C-réactive (CRP) et de deux adipocytokines (leptine et adiponectine).

Toutes les données nécessaires à cette analyse étaient réunies pour 689 paires mère-enfant. Le DDT et le PBDE-47, qui étaient à des niveaux indétectables dans la majorité des échantillons de sang maternel, ont été écartés. Les concentrations des autres POP (DDE, HCB et somme des PCB) ont été log-transformées et les effets d’une augmentation d’une unité (correspondant à une multiplication par 10 de la concentration) de chaque contaminant sur les différents critères de jugement ont été estimés dans des modèles ajustés sur un jeu de covariables maternelles (IMC de pré-grossesse, taux plasmatique de lipides, âge à la naissance de l’enfant, parité, niveau d’études, tabagisme pendant la grossesse) et relatives à l’enfant (poids de naissance, sexe, âge gestationnel, durée de l’allaitement, âge exact lors des mesures cliniques et biologiques).

 

Relations avec l’adiposité

La cinétique de croissance pondérale durant les six premiers mois avait été rapide (z-score de gain de poids supérieur à 0,67 écart-type) pour 203 enfants (35 % de la population) qui présentaient un excès de risque de surpoids/obésité (aux seuils de l’International Obesity Task Force) à l’âge de 4 ans (risque relatif [RR] égal à 1,94 [IC95 : 1,46-2,56]). Au total 99 enfants (14 %) étaient en surpoids lors du suivi à 4 ans et 48 autres (7 %) étaient classés obèses.

Un lien entre l’exposition prénatale à l’HCB et la rapidité de la croissance au cours des six premiers mois est observé, mais l’association n’est pas statistiquement significative (RR = 1,94 [0,99-3,77]). À l’âge de 4 ans, l’exposition à l’HCB est associée au z-score d’IMC (ß = +0,49 écart-type [0,12-0,86]) et à l’obésité (RR = 8,14 [1,85-35,81]), le petit nombre d’enfants obèses rendant l’estimation imprécise. Les analyses montrent également un effet de l’HCB sur l’adiposité abdominale et sous-cutanée. Ainsi, l’augmentation d’une unité de la concentration plasmatique maternelle augmente le risque d’un tour de taille ≥ 90e percentile (pour l’âge et le sexe) chez l’enfant (RR = 3,49 [1,08-11,28]), et est associée à l’épaisseur de ses plis cutanés (somme des quatre plis : ß = +7,71 mm [2,04-13,39]).

L’exposition prénatale au DDE est associée à l’augmentation du z-score d’IMC (ß = +0,27 [0,04-0,5]) et à la prévalence de l’obésité abdominale (RR = 3,76 [1,70-8,30]). Les résultats ne sont pas significatifs pour les PCB.

 

Effets sur les autres marqueurs

L’élévation de la concentration plasmatique maternelle d’HCB est associée à l’élévation de la PAS chez l’enfant (ß = +4,34 mm Hg [0,63-8,05]), tandis que l’effet sur la PAD n’est pas significatif (ß = +2,48 mm Hg [-0,13 à +5,09]). L’inverse est observé pour le DDE : augmentation significative du niveau de la PAD (ß = +1,79 mm Hg [0,13-3,46]) mais pas de la PAS (ß = +2,31 mm Hg [-0,07 à +4,69]). L’exposition prénatale aux PCB n’apparaît pas influencer la PA de l’enfant.

Les niveaux de lipides sanguins et d’adiponectine ne sont associés à aucun POP. Ceux de CRP tendent à s’élever avec les concentrations des trois polluants, mais les résultats ne sont pas significatifs. Le taux plasmatique de leptine est positivement associé aux concentrations d’HCB et de DDE, toutefois un ajustement sur l’IMC de l’enfant atténue sensiblement la force des estimations.

Les autres résultats apparaissent robustes à plusieurs analyses complémentaires, à la recherche d’effets modificateurs du tabagisme maternel pendant la grossesse, de l’IMC de pré-grossesse, de la prise de poids gestationnelle, du z-score d’IMC de l’enfant, de son sexe ou de la durée de l’allaitement. L’exclusion des enfants nés avant 37 semaines de gestation ou avec un petit poids ne modifie pas non plus notablement les effets de l’HCB et du DDE mis en évidence dans cette population faiblement exposée. Les concentrations plasmatiques des deux pesticides organochlorés, dont l’usage est désormais interdit (HCB) ou très restreint (DDT), étaient en effet particulièrement basses (valeurs médianes : 0,08 μg/L [HCB] et 1,98 μg/L [DDE]) comparativement à ce qui a été récemment rapporté dans d’autres populations de femmes enceintes, notamment aux États-Unis.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Vafeiadi M, Georgiou V, Chalkiadaki G, et al. Association of prenatal exposure to persistent organic pollutants with obesity and cardiometabolic traits in early childhood: The Rhea mother-child cohort (Crete, Greece). Environ Health Perspect 2015; 123: 1015-21.

Department of Social Medicine, Faculty of Medicine, University of Crete, Heraklion, Grèce.

doi: 10.1289/ehp.1409062