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ANALYSE D'ARTICLE

Le déplacement forcé des micro-organismes : causes identifiées, conséquences inconnues

En générant un brassage de bactéries, champignons et micro-algues à une échelle sans précédent, les activités humaines bouleversent l’équilibre des écosystèmes. Selon les auteurs de cet article, il est grand temps d’étudier toutes les répercussions possibles de cette redistribution à marche forcée de la flore microbienne au-delà de la partie émergée de l’iceberg que constitue la dissémination de gènes de résistance aux antibiotiques.

Pendant des milliards d’années, ce sont essentiellement des forces physiques comme les mouvements des masses d’air et d’eau qui ont déplacé les micro-organismes. La donne a changé au cours du siècle dernier. L’homme est devenu une force géologique et érosive majeure en remuant plus de terre, de roche et de sable que tous les processus naturels combinés, mobilisant une quantité considérable de micro-organismes telluriques, tandis que les espèces aquatiques sont véhiculées très loin de leur milieu d’origine via les eaux de ballast des navires de transport international.

Mouvements de matériaux, mondialisation des échanges commerciaux, expansion du tourisme vers des destinations lointaines... l’activité humaine est en train de modifier rapidement et à grande échelle la répartition géographique des micro-organismes. Quelles peuvent en être les conséquences ?

La problématique de l’antibiorésistance

La pression exercée par l’homme sur le monde microbien a probablement des effets semblables à ceux observés dans le monde vivant visible, en particulier l’extinction d’espèces endémiques et leur remplacement par des espèces envahissantes conduisant à une homogénéisation génétique.

Les hommes et les animaux d’élevage forment aujourd’hui une biomasse 35 fois plus importante que celle des mammifères terrestres sauvages. Leurs déplacements internationaux et ceux de produits agricoles provenant de terres irriguées par des eaux usées insuffisamment traitées ou fertilisées par l’épandage de lisier entraînent la dissémination d’une sous-catégorie spécifique de micro-organismes : les bactéries intestinales. Le monde microbien s’enrichit en espèces du microbiote intestinal d’humains, de vaches, de moutons, de porcs et de poulets. Et en leurs gènes d’antibiorésistance.

L’article cite à titre d’exemple la diffusion des intégrons de classe 1 au sein des espèces bactériennes et de leurs hôtes vertébrés de tous les continents. Ces fragments d’ADN de découverte relativement récente après celle des plasmides et des transposons, sont considérés aujourd’hui comme la structure génétique la plus efficace pour le transfert horizontal en bloc de multiples gènes de résistance aux antibiotiques. Constitués de cassettes variables de gènes d’origine étrangère entre deux extrémités fixes – l’une permettant de les capturer et l’autre contrôlant leur niveau d’expression – les intégrons confèrent aux bactéries les moyens de s’adapter à des pressions environnementales variées en incorporant et en exprimant des gènes nécessaires à leur survie (fonctions biochimiques, facteurs de virulence, etc.). Ils existaient certainement bien avant l’introduction des antibiotiques, mais la pression de sélection induite par leur utilisation massive aura favorisé l’assemblage de gènes dont la dissémination constitue aujourd’hui une préoccupation majeure pour la santé humaine et animale.

Élargir notre champ de vision

Pour les auteurs de cet article, la surveillance de la contamination de l’environnement par des éléments génétiques nous menaçant directement est un premier pas dans la prise de conscience de notre impact sur la vie microbienne. Il doit ouvrir sur un questionnement global à propos des grands cycles biogéochimiques auxquels prennent part les écosystèmes microbiens. En modifiant la répartition et l’abondance des micro-organismes, les activités humaines perturbent notamment le cycle de l’azote dont dépend la production de denrées alimentaires.

Il est temps de considérer les services écosystémiques invisibles mais essentiels fournis par les micro-organismes et d’explorer les connexions entre la biodiversité microbienne et les processus biogéochimiques à l’échelon d’un territoire pour avoir une idée de ce qui nous attend à l’échelle de la biosphère. Les activités humaines auront-elles des conséquences positives ou négatives et de quelle ampleur ? Aucun modèle actuel ne permet de le prédire.

Commentaires

« Les mouvements de masse microbiens » : quel titre ! Ou comment faire vibrer un sujet scientifique d’écologie microbienne en l’habillant de peurs humaines sociétales. Ce n’est pas à l’honneur d’un média scientifique renommé comme Science.

Les auteurs emboîtent le pas de la facilité et du sensationnel (nécessaires, il est vrai, au fonctionnement d’une société marchande) en proclamant que les déplacements de peuplements microbiens (par la réutilisation des eaux usées, les mouvements de matériaux, la mondialisation des échanges commerciaux, l’expansion du tourisme vers des destinations lointaines, etc.) seraient plus forts dans l’anthropocène qu’ils n’ont jamais été, et que cela a « probablement » sur le monde microbien des effets semblables à ceux observés dans le monde vivant visible, en particulier l’extinction d’espèces endémiques et leur remplacement par des espèces envahissantes conduisant à une homogénéisation génétique. La perte de biodiversité microbienne mettant en danger les grands cycles géochimiques (trois publications citées dont une auto-citation), donc la biosphère et donc l’humanité. CQFD.

L’objectif de cette mise en condition mentale est peut-être de promouvoir l’intérêt de financer une large surveillance environnementale des intégrons de classe 1, dont l’efficacité pour les échanges génétiques a été bien mise en évidence par la communauté des spécialistes de génomique microbienne environnementale à l’occasion de leur travail sur la dissémination de l’antibiorésistance dans l’environnement (sujet de préoccupation de santé publique assez bien financé). Il suffit d’en faire un contaminant de l’environnement, baptisé élément xéno-génétique, agent d’un nouveau péril fécal planétaire.

Ce discours anthropocentré et catastrophiste (invasion microbienne, extinction microbienne, perturbation des écosystèmes microbiens) peut abuser un décideur politique, pas un scientifique écologiste microbien qui ne peut l’écouter sans rire. Les auteurs le disent eux-mêmes : les intégrons confèrent aux bactéries les moyens de s’adapter à des pressions environnementales variées en incorporant et en exprimant des gènes nécessaires à leur survie (fonctions biochimiques, facteurs de virulence, etc.). En un lieu donné, les échanges génétiques entre populations autochtones et allochtones sont un mécanisme évolutif de la dynamique constante des écosystèmes. L’entrelacement des interdépendances garantit une certaine résilience, mais il est intéressant effectivement d’étudier l’impact de l’activité humaine comme élément d’un écosystème donné sur l’évolution de cet écosystème, d’un point de vue microbiologique et écologique, et en retour l’impact de l’évolution de l’écosystème ainsi infléchie sur le bien-être de l’humanité environnante (le fameux service écosystémique invisible). Le discours de responsabilité pour la planète n’en sera que plus solide. Quand la partie dominante de l’humanité cessera-t-elle de se voir au-dessus du monde vivant et séparée de lui ? Quand cessera-t-elle de considérer la biosphère comme son environnement à elle, mélange de territoire de prédation et d’habitat, qu’elle aurait le pouvoir d’entretenir pour ses besoins et de laisser dans l’état de propreté qu’elle souhaiterait trouver en entrant ?

Jean Lesne

 


Publication analysée :

* Zhu Y-G1, Gillings M, Simonet P, Stekel D, Banwart S, Penuelas J. Microbial mass movements. Science 2017 ; 357 : 1099-1100. doi : 10.1126/science.aao3007

1 Key Lab of Urban Environment and Health, Institute of Urban Environment, Chinese Academy of Sciences, Xiamen, Chine.