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ANALYSE D'ARTICLE

Identification de nanotubes de carbone anthropogéniques dans les poumons d’enfants parisiens

L’utilisation d’instruments de mesure et d’analyse adéquats a permis de révéler, pour la première fois, la présence de nanotubes de carbone d’origine anthropique dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire et les macrophages pulmonaires d’enfants parisiens. Ces résultats engagent à accélérer l’étude des effets sanitaires de l’exposition, probablement courante, à ces nanomatériaux.

The use of advanced instruments for measurement and analysis has for the first time revealed the presence of anthropogenic carbon nanotubes in the bronchoalveolar lavage fluids and alveolar macrophages of Parisian children. These results call for further study of the health effects of the exposure, probably common, to these nanostructures.

Si la nocivité des particules en suspension, en particulier des particules fines de moins de 2,5 μm de diamètre (PM2,5), a été établie, la responsabilité des différents composants de cette matière particulaire dans les effets sanitaires observés demeure méconnue. Les inclusions de carbone dans les macrophages alvéolaires, visualisées par microscopie optique, ont été reliées de manière dose-dépendante à un déclin de la fonction pulmonaire. Or, selon l’équipe à l’origine de cet article, cette technique ne permet pas d’être certain que la matière sombre intracellulaire est du carbone provenant de PM inhalées. Les macrophages peuvent contenir d’autres éléments d’aspect similaire en microscopie optique : les corps lamellaires, pelotes de membranes phospholipidiques provenant du surfactant alvéolaire. Une investigation plus poussée à l’aide d’autres techniques était nécessaire pour caractériser le « contenu noir » des macrophages.

 

Échantillons analysés

Les auteurs ont utilisé des échantillons de liquide de lavage broncho-alvéolaire (LBA) provenant de 64 enfants (âges allant de 2 mois à 17 ans) présentant des symptômes d’asthme atypique et difficile à traiter. Le LBA avait été effectué au cours d’une fibroscopie bronchique réalisée à l’hôpital Trousseau (Paris) entre 2007 et 2011. Les 64 échantillons ont été sélectionnés de manière aléatoire dans la biothèque, décongelés, centrifugés, et le culot a été préparé pour être examiné au microscope électronique à transmission (MET). La congélation entraînant une lyse cellulaire, les auteurs ont utilisé en complément cinq échantillons de LBA frais provenant d’enfants de 1 à 5 ans, dont les cellules (essentiellement macrophages et leucocytes de type polynucléaires neutrophiles) ont été examinées par microscopie électronique à haute résolution (MET-HR) et spectroscopie à rayons X et dispersion d’énergie (EDX). Le matériel biologique provenait d’enfants asthmatiques (dont la déposition et la clairance pulmonaire peuvent être altérées) pour des raisons éthiques et pratiques (examens invasifs réalisés à titre diagnostique) mais les auteurs estiment raisonnable de considérer que leurs résultats s’appliquent à la population générale.

 

Identification de nanotubes de carbone

L’examen en MET des culots de LBA montre un mélange de composés filamenteux (résidus de surfactant) et d’agrégats de matière particulaire essentiellement à faible densité, mais contenant aussi quelques nanostructures électrodenses. À fort grossissement, des nanotubes de carbone (NTC) ayant des diamètres compris entre 10 et 60 nm et longs de plusieurs centaines de nm, évoquant des NTC multiparois d’origine synthétique, sont identifiés. L’examen des cellules pulmonaires par MET-HR confirme que le « contenu noir » observé au microscope optique est principalement constitué de corps lamellaires formés de couches phospholipidiques concentriques, espacées d’environ 2 nm. Les vacuoles de certains macrophages contiennent également des nanoparticules sphériques, des « fagots » de nanotubes courts et longs et des NTC multiparois isolés. La spectroscopie EDX confirme la nature carbonée de cette matière nanoparticulaire et montre que les fagots courts sont formés de tubes rectilignes alors que ceux des fagots longs sont généralement courbés et tordus. L’espace entre les couches de graphite des NTC multiparois est de 0,33 ± 0,02 nm. Ces différentes structures sont retrouvées dans les cellules des cinq échantillons en proportions variables : le pourcentage de cellules contenant des corps lamellaires va de 7,8 à 69,2 %, tandis que 2,1 à 7,7 % des cellules renferment des nanosphères carbonées et 1,3 à 7,8 % des NTC.

 

L’intérêt de deux autres techniques (la spectroscopie Raman et la microscopie de fluorescence dans le proche infra-rouge) est limité. En microscopie de fluorescence, des NTC mono-paroi semiconducteurs sont identifiés dans l’un des cinq échantillons. Le signal Raman est de faible intensité et peu informatif du fait de la rareté et de la petite taille des inclusions de matière particulaire.

 

Commentaires

L’essor récent des nanotechnologies s’est accompagné d’une crainte à tous les niveaux de leur(s) éventuel(s) danger(s). Il existe une littérature fournie sur les études dites de “nanotoxicité”. Néanmoins, les études épidémiologiques en tant que telles sont extrêmement rares et leurs conclusions discordantes. Ceci fait l’intérêt de cette publication, mais aussi la déception après lecture. En effet, le fait de retrouver des nanotubes de carbone (NTC) dans les lavages broncho-alvéolaires (LBA) indique une exposition extrêmement importante. Est-ce dû à un biais méthodologique du fait de la population étudiée (asthmatiques) ? Également, les images de microscopie montrent des NTC dans tous les macrophages ce qui pourrait être “inquiétant”, mais laisse dubitatif le spécialiste dans le sens où, même lors d’exposition in vitro, ce genre de résultat est difficile à obtenir. Enfin dernière interrogation : d’où viennent les NTC ? D’une formation ex nihilo dans les gaz d’échappement ? Une origine industrielle est à exclure étant donné le type de NTC observé ici. À ceci, l’étude ne répond pas (non plus).

Olivier Joubert

Cet article a eu un retentissement assez important dans les médias grand public, mais a plutôt provoqué de la perplexité chez les scientifiques. Le commentaire d’Olivier Joubert fait état de ces interrogations. On peut ajouter que la méthodologie de prélèvement sur les tuyaux d’échappements ne semble pas offrir de garanties que les objets observés proviennent du moteur plutôt que de dépôts atmosphériques. Il aurait également été intéressant de rechercher ce type de nanotubes carbonés dans des prélèvements d’air. Ces résultats sont donc à confirmer et à préciser.

Georges Salines

 

Deux types d’échantillons environnementaux ont été analysés : du gaz d’échappement (prélevé par des tampons d’ouate fixés au bord des tuyaux d’échappement de véhicules parisiens) et de la poussière recueillie par du coton placé dans des caissons de volets roulants à l’intérieur d’appartements de non-fumeurs à Antony (banlieue sud de Paris) et à Nanterre (banlieue nord-ouest). L’échantillonnage avait été réalisé au deuxième étage d’un immeuble au bord de la route nationale dans la première ville, et au cinquième étage d’un immeuble près d’une rue peu passante dans la seconde.

Ces échantillons contiennent des particules de mêmes types que celles trouvées dans les échantillons biologiques : nanosphères (principalement constituées de carbone amorphe), agrégats de NTC, et NTC multiparois (plus abondants dans la poussière que dans le gaz d’échappement) formés de couches de graphite en nid d’abeilles espacées de 0,33 ± 0,02 nm. La quantité de nanoparticules carbonées dans l’environnement d’une rue tranquille est comparable à ce qui est observé près d’une voie à fort trafic. Par ailleurs, la quantité de NTC dans les échantillons de LBA n’apparaît pas corrélée à la distance entre le logement et une route importante. Les nanoparticules carbonées pouvant être présentes dans l’air intérieur comme dans l’air extérieur, et les polluants atmosphériques pouvant être transportés à longue distance, l’exposition à ces nanoparticules est probablement ubiquitaire et banale.

L’expérimentation animale montre que les longs NTC et les gros agrégats de NTC courts peuvent induire une réaction granulomateuse du tissu pulmonaire. L’expérience de l’amiante amène à craindre la même pathogénicité et la même capacité de translocation pleurale pour les nanomatériaux tubulaires. La taille des NTC observés dans cette étude est insuffisante pour induire la formation de granulomes. Toutefois, ces nanomatériaux peuvent adsorber une grande variété de substances et constituer de bons vecteurs de polluants atmosphériques. Leur détection dans les poumons appelle à approfondir rapidement les connaissances relatives à leur toxicité et à leur devenir dans l’organisme.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Kolosnjaj-Tabi J, Just J, Hartman K, et al. Anthropogenic carbon nanotubes in the airways of Parisian children. EBioMedicine 2015; 2: 1697-1704.

Laboratoire des techniques et instruments d’analyse moléculaire (LETIAM), IUT d’Orsay, Université Paris-Saclay, Orsay, France.

doi : 10.1016/j.ebiom.2015.10012