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ANALYSE D'ARTICLE

Facteurs de risque du cancer du pancréas : synthèse de la littérature

Cette synthèse des connaissances relatives aux facteurs de risque du cancer du pancréas offre une perspective globale qui permet de faire émerger les quelques facteurs dont le poids est important et dégage des pistes pour la recherche étiologique. Les effets des expositions aux substances chimiques et aux contaminants environnementaux restent à étudier.

This summary review of the risk factors of pancreatic cancer gives an overall perspective that points to the few significant factors and shows possible avenues for etiological research. The effects of exposure to chemicals and environmental contaminants remain to be studied.

Contrairement à certains cancers majoritairement attribuables à un facteur étiologique bien identifié (comme le tabac pour le cancer du poumon ou l’infection à papillomavirus pour le cancer cervical), le cancer du pancréas reste d’origine mystérieuse. Son incidence très variable selon la région et la population suggère la contribution de facteurs génétiques, liés au mode de vie et environnementaux. De nombreuses études épidémiologiques sont publiées chaque année, mais elles sont généralement de petite taille, ce qui limite leur capacité à identifier des associations d’ampleur modérée ou des facteurs de risque peu fréquents.

Dans cette situation, les méta-analyses et les analyses poolées présentent un intérêt particulier. Les premières sont réalisables sous réserve que les études dont les résultats sont combinés soient comparables (définitions des variables et méthodes d’analyse statistique notamment). Les secondes, qui réanalysent de manière globale les données de plusieurs études individuelles, produisent théoriquement des estimations plus fi ables, dans la mesure où la standardisation des variables permet un meilleur contrôle des facteurs de confusion potentiels.

Dans l’objectif de synthétiser les connaissances relatives aux différents facteurs de risque du cancer du pancréas rapportés dans la littérature, les auteurs de cet article ont recherché les travaux méta-analytiques publiés jusqu’au 31 octobre 2014 dans trois bases de données bibliographiques (PubMed, Google Scholar et ISI Web of Knowledge). Au total, 117 publications ont été sélectionnées, dont 86 méta-analyses et 31 analyses poolées portant sur 37 facteurs de risque. Pour chacun d’entre eux, les auteurs ont estimé le niveau de preuve (élevé, modéré ou faible) sur la base du nombre et du type de publications concluant à une association, ainsi que son importance relative à partir de l’ampleur de l’association et de la fréquence de l’exposition. Celle-ci était exprimée en termes de fraction attribuable pour un facteur de risque au sens étiologique ou causal, et en termes de fraction évitable pour un facteur protecteur (pourcentage des cancers qui pourraient être évités si toute la population était exposée à ce facteur).

 

Principaux facteurs de risque

Le tabagisme et l’infection de l’estomac par Helicobacter pylori ressortent comme les deux principaux facteurs de risque du cancer du pancréas. Une méta-analyse de 47 études cas-témoins et 35 études de cohortes indique un risque relatif (RR) de 1,7 pour les fumeurs actuels et de 1,2 pour les ex-fumeurs. Ces estimations sont confi rmées (RR compris entre 1,6 et 2,2 pour les fumeurs et entre 1,1 et 1,2 pour les ex-fumeurs) par cinq autres travaux, dont une analyse poolée de 30 études de cohortes, ce qui confère un niveau de preuve élevé à l’association. Tenant compte de la prévalence du tabagisme (26 % au plan mondial, 24 % aux États- Unis et 33 % en Europe d’après le rapport sur le fardeau des maladies de l’Organisation mondiale de la santé [OMS]), entre 11 et 32 % des cancers du pancréas lui seraient attribuables. L’infection à H. pylori apparaît associée à un excès de risque plus faible (RR compris entre 1,1 et 1,4) mais sa forte prévalence (estimée entre un quart et la moitié de la population dans les pays occidentaux) la place au deuxième rang des facteurs de risque, avec une fraction attribuable estimée entre 4 et 25 %. Trois autres facteurs pour lesquels le niveau de preuve est élevé viennent ensuite : le diabète, associé, comme le tabagisme à un excès de risque modéré (RR entre 1,5 et 1,9), et l’obésité ainsi qu’un groupe sanguin autre que O dans la catégorie des facteurs augmentant faiblement le risque, comme H. pylori. Les fractions attribuables respectives sont estimées à 1-16 %, 3-16 % et 13-19 %. Du fait de sa faible prévalence, un facteur de risque majeur comme la pancréatite chronique est estimée responsable de moins de 3 % des cancers. La consommation d’alcool (augmentation de 20 % du risque à partir de 30 g par jour) serait à l’origine de moins de 9 % des cancers du pancréas.

Trois facteurs protecteurs émergent : l’activité physique, la consommation de fruits et de légumes et le statut allergique (seul associé à un niveau de preuve élevé). L’augmentation du niveau d’activité et de la consommation de végétaux (niveau d’exposition passant du premier au dernier quintile) pourrait respectivement prévenir 5 % et entre 1 et 12 % des cancers du pancréas. Être allergique diminue de 20 à 30 % le risque, la fraction évitable étant estimée à 3-7 %.

 

Apport de ce travail

Du fait de la prévalence extrêmement variable des facteurs de risque ainsi que des niveaux d’exposition d’une population à l’autre, les estimations produites sont imprécises. Elles donnent néanmoins une idée du poids de chaque facteur dans l’étiologie du cancer du pancréas ainsi qu’une vue d’ensemble dont émerge l’importance des facteurs de risque potentiellement modifiables, qui comptent pour environ deux-tiers des facteurs listés.

Très éparpillés à première vue, ces facteurs peuvent être regroupés en quelques catégories qui sont autant de directions pour de futures recherches. L’exploration de la piste de l’insulinorésistance se justifie ainsi par la mise en évidence d’associations avec le diabète, l’obésité, l’activité physique, et d’autres associations, même mineures et inconstantes, avec des variables telles que la consommation de fructose, l’adiposité abdominale et les niveaux d’adiponectine et de glycémie. L’influence des allergies et du groupe sanguin incite à se pencher sur l’immunité. Les infections (H.pylori et virus des hépatites B et C) sont, avec le tabac, l’alcool, la pancréatite et la cholécystectomie, des facteurs d’inflammation chronique.

Le rôle des expositions professionnelles et environnementales demeure largement sous-étudié. Quatre méta-analyses ont été publiées, qui synthétisent les résultats de plus de 100 études dans lesquelles le lien entre le cancer du pancréas et l’activité professionnelle avait été examiné. L’exposition aux solvants chlorés et un travail dans la métallurgie, au contact du nickel en particulier, sont associés à une augmentation du risque de cancer du pancréas. Un très petit nombre de cas avait été inclus dans chaque étude et le niveau de preuve est jugé faible. Il en est de même pour deux autres méta-analyses qui indiquent l’absence d’association avec l’exposition professionnelle aux émissions de moteurs diesel ainsi qu’au chlorure de méthylène.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Maisonneuve P, Lowenfels A. Risk factors for pancreatic cancer: a summary review of meta-analytical studies. Int J Epidemiol 2015; 44: 186-98.

Division of Epidemiology and Biostatistics, European Institute of Oncology, Milan, Italie.

doi:10.1093/ije/dyu240.