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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition chronique à l’arsenic et issues défavorables de grossesse : revue de la littérature

La toxicité de l’arsenic pour la grossesse est soutenue par la littérature épidémiologique disponible, qui indique une relation entre la consommation d’une eau contenant plus de 50 μg/L d’arsenic et les risques de fausse-couche, de mort fœtale in utero et de petit poids de naissance. Les faiblesses méthodologiques habituelles des études nuisent à l’établissement d’un lien de causalité certain.

The current epidemiological literature indicates an association between drinking water containing over 50 μg/L of arsenic and the risks of spontaneous abortion, stillbirth, and low birth weight and thus supports the hypothesis that arsenic toxicity can cause adverse pregnancy outcomes. The usual methodological limitations make it difficult to establish a definite causal link.

L’impact de l’exposition chronique à l’arsenic est bien documenté en termes de cancers, d’effets développementaux, d’affections cardiovasculaires, pulmonaires, de neurotoxicité et de diabète. Sa toxicité pour la grossesse est moins unanimement reconnue alors que d’innombrables femmes en âge de procréer, au Bangladesh et en Inde en particulier, consomment une eau dont la concentration en arsenic (métalloïde naturellement présent dans le sol) dépasse la limite de 10 μg/L recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Appuyée sur la littérature de la période 1980-2016 (articles en langue anglaise publiés dans des journaux à comité de lecture), cette revue narrative dresse l’état des lieux des connaissances sur la relation entre l’exposition chronique à l’arsenic via l’eau de boisson et diverses issues défavorables de grossesse (avortement spontané, mort fœtale in utero, naissance prématurée, faible poids de naissance), ainsi que la mortalité infantile. Les auteurs identifient les lacunes à combler dans l’objectif d’éclairer les politiques de santé publique.

Plausibilité biologique

L’arsenic inorganique (forme prédominante dans l’eau) traverse aisément la barrière placentaire, les concentrations dans le sang du cordon équivalant celles du sang maternel. Le mécanisme de sa toxicité pour l’embryon, puis le fœtus, est loin d’être élucidé, mais plusieurs types d’effets pourraient y contribuer. La forte affinité de l’arsénite pour les groupements thiols est ainsi susceptible d’entraîner des altérations protéiques et une inhibition enzymatique. Ce composé est cytotoxique par induction d’un stress oxydant et modification de la perméabilité mitochondriale conduisant à l’apoptose. L’arsenic inorganique développe des effets perturbateurs endocriniens affectant la signalisation hormonale, en particulier médiée par les œstrogènes et la progestérone. Son accumulation dans le tissu placentaire induit un stress oxydant soutenu et d’autres effets diminuant la perfusion du fœtus et altérant sa croissance.

Avec l’avancée de la grossesse, la capacité de l’organisme maternel à métaboliser l’arsenic inorganique augmente, protégeant partiellement le fœtus. Le processus de biométhylation en composés mono, puis diméthylés moins toxiques, apparaît dépendant de la disponibilité de micronutriments comme les folates qui jouent un rôle essentiel dans le métabolisme monocarboné. Le déficit d’apport en folates serait ainsi un facteur augmentant la vulnérabilité du fœtus, avec d’autres facteurs, génétiques ou environnementaux, qu’il reste à identifier.

Tour d’horizon de la littérature

L’article présente 15 études épidémiologiques sur la relation entre l’exposition à l’arsenic via l’eau de boisson et l’arrêt de la grossesse, qui proviennent d’Asie et minoritairement d’autres continents (Amérique : États-Unis et Chili ; Europe : Hongrie et Roumanie). Neuf d’entre elles (six études transversales, deux analyses de cohortes rétrospectives et une étude écologique) ont examiné à la fois le risque d’avortement spontané avant 20 semaines d’aménorrhée et de mort fœtale in utero (MFIU) ultérieure, trois sont focalisées sur les avortements et les trois autres sur la MFIU. Collectivement, ces études soutiennent l’existence d’une relation entre l’exposition à l’arsenic et l’arrêt de la grossesse. Respectivement huit et neuf études sur 12 rapportent des associations avec les risques d’avortement et de MFIU.

Onze études, dont sept de cohortes prospectives (au Bangladesh, États-Unis, Roumanie, Chili et Afrique du Sud) ont évalué l’effet de l’exposition sur le poids de naissance. Six rapportent une association inverse, statistiquement significative. Les résultats d’analyses stratifiées, réalisées dans trois études, suggèrent plusieurs facteurs modificateurs : le sexe du fœtus, le poids et le tabagisme maternel.

La relation entre l’exposition à l’arsenic et la prématurité ou la mortalité infantile apparaît sous-étudiée. L’une des trois études ayant estimé le risque de naissance prématurée en fonction de l’exposition rapporte une association significative. Une étude écologique au Chili montre des taux de mortalité néonatale et postnatale significativement plus élevés dans la région d’Antofagasta historiquement contaminée qu’à Valparaiso où la population est faiblement exposée. L’excès de mortalité néonatale associé à la consommation d’une eau contenant plus de 50 μg/L d’arsenic n’est pas significatif, contrairement au risque de perte fœtale, dans une étude transversale au Bangladesh.

Limites générales

Les auteurs relèvent la rareté des travaux effectués dans des régions où l’eau est peu contaminée par l’arsenic, qui abritent pourtant la majorité de la population mondiale. Cette carence d’information est préjudiciable, les résultats d’investigations dans des populations fortement ou exceptionnellement exposées n’étant pas extrapolables aux situations d’exposition environnementale faible ou modérée.

Si la littérature passée en revue fournit de bonnes indications d’un lien entre la consommation d’une eau contenant plus de 50 μg/L d’arsenic et les risques de fausse-couche, de MFIU et de faible poids de naissance, sa qualité globalement insuffisante limite le niveau de preuve. Les études de type transversal prédominent : elles permettent de renforcer l’hypothèse d’une relation entre l’exposition et l’événement étudié, mais la séquence temporelle manque à l’inférence causale. Le recueil rétrospectif des données, habituel, expose au biais de classement, et la taille réduite de l’échantillon rend les résultats de certaines études très imprécis. Les études de type écologique provenant notamment du Chili et du Bangladesh, couvrent une vaste population et permettent de corréler le niveau de contamination de l’eau à la prévalence d’un événement, calculée de manière relativement précise. Elles présentent cependant plusieurs biais inhérents à l’utilisation de données agrégées.

Les auteurs soulignent la faiblesse de l’évaluation de l’exposition. La concentration d’arsenic dans l’eau a souvent été déterminée par échantillonnage de la source d’eau la plus proche et/ou la plus utilisée par les participantes à l’étude, parfois des années après leur grossesse. Lorsque l’arsenic a été mesuré dans des échantillons biologiques, leur nature – urine ou sang dans lesquels la demi-vie de l’arsenic est brève – et/ou le caractère ponctuel de la mesure, ne permettent pas d’établir la chronicité de l’exposition.


 

Commentaires

L’arsenic est un métalloïde qui peut être présent sous la forme inorganique ou organique (incluant plus de 50 composés retrouvés notamment dans des denrées alimentaires) et sous différents états d’oxydation, principalement +3 (arsénite) et +5 (arséniate). Dans l’eau, la forme inorganique de l’arsenic est majoritaire (90 %). Les formes minérales de l’arsenic sont plus toxiques que les formes organiques, les arsénites étant plus toxiques que les arséniates. Mais l’arséniate absorbé est rapidement réduit dans le sang sous forme d’arsénite, ce qui implique une augmentation de la toxicité.

Il existe des différences nettes dans la métabolisation de l’arsenic entre espèces de mammifères, groupes de populations (adultes, enfants) ou entre individus. La toxicité de l’arsenic chez les adultes est associée à l’efficacité de la méthylation, influencée par des facteurs tels que le sexe, la génétique et la nutrition. Ces facteurs ajoutent des difficultés d’interprétation dans la comparaison des études qui se proposent d’évaluer les risques sur le fœtus au cours de la grossesse dus à l’exposition à l’arsenic total dans l’eau potable.

À cela s’ajoutent d’autres facteurs de confusion comme la présence d’autres minéraux dans les eaux chargées en arsenic, notamment la présence de manganèse. Une étude [1] a montré que la consommation d’eau contenant des niveaux élevés de manganèse pendant la grossesse peut nuire à la croissance du fœtus.

Bien que les facteurs de confusion soient nombreux, cette publication aborde un effet critique pertinent en termes de mécanisme d’action et important du point de vue de la santé publique.

Claude Casellas

1. Rahman SM, Kippler M, Ahmed S, Palm B, El Arifeen S, Vahter M. Manganese exposure through drinking water during pregnancy and size at birth: A prospective cohort study. Reproductive Toxicology 2015 ; 53 : 68-74.


 

Le travail présenté ici est une revue de la littérature concernant les effets indésirables de l’arsenic dans l’eau de boisson sur les issues de grossesses (fausses-couches, accouchements prématurés, morts fœtales in utero, petits poids de naissance). Les articles analysés sont des études épidémiologiques publiées en anglais entre 1980 et 2016, avec des protocole divers : écologiques, cas-témoins, transversales, cohortes rétrospectives. Dans ces études, l’exposition et/ou les effets indésirables identifiés proviennent de données qui, pour la plupart, sont agrégées, et supposées caractéristiques d’une région ou d’une population.

Le manque de précision pour ce qui est des données individuelles, ainsi que l’hétérogénéité géographique des populations étudiées expliquent probablement les résultats contradictoires.

C’est pourquoi les études prospectives analysant des données individuelles sont les plus adaptées pour répondre à la question des effets sanitaires de l’arsenic dans une population. L’étude de Rahman et al. [1] répond à ces critères mais n’a curieusement pas été citée, alors que certains auteurs sont communs aux deux publications. Elle conclut à une association significative entre l’exposition de la mère à l’arsenic dans l’eau de boisson et une augmentation de la mortalité périnatale. Les résultats sont négatifs pour les autres effets indésirables examinés.

Dans ce travail de 2010, l’exposition est estimée à partir de biomarqueurs urinaires à différents stades de la grossesse, dans une population de plus de 2 900 femmes enceintes. Un certain nombre de facteurs ont été contrôlés, et même si l’étude est critiquable sous certains aspects (pas d’informations sur les autres contaminants de l’eau, ni sur les autres sources d’arsenic dans l’alimentation), ses résultats sont certainement plus fiables que ceux des études rétrospectives ou écologiques.

Elisabeth Gnansia

1. Rahman A, Persson LA, Nermell B, et al. Arsenic exposure and risk of spontaneous abortion, stillbirth, and infant mortality. Epidemiology 2010 ; 21 : 797-804.


 

 


Publication analysée :

* Milton A1, Hussain S, Akter S, Rahman M, Mouly T, Mitchell K. A review of the effects of chronic arsenic exposure on adverse pregnancy outcomes. Int J Environ Res Public Health 2017; 14: 556. doi: 10.3390/ijerph14060556

1 Centre for Clinical Epidemiology and Biostatistics, School of Medicine and Public Health, Faculty of Health and Medicine, The University of Newcastle, Callaghan, Australie.