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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition chimique et lymphome non hodgkinien : effet d’un mélange de polluants domestiques

Une méthode d’analyse statistique plus adaptée que la régression linéaire classique pour examiner l’effet d’un mélange de substances parfois fortement corrélées entre elle a été employée dans cette étude. Ses résultats indiquent une association entre l’exposition à un mélange de polluants de la poussière domestique et le risque de lymphome non hodgkinien et pointent la responsabilité de certains composés en particulier.

This study used a statistical analysis method more appropriate than traditional linear regression to examine the effect of a mixture of complexly and sometimes strongly correlated substances. The results show an association between exposure to a combination of pollutants in house dust and the risk of non-Hodgkin lymphoma and implicate certain specific combinations.

Les connaissances sur le lien entre l’exposition environnementale à des substances chimiques et le risque de lymphome non hodgkinien (LNH) proviennent d’études ayant généralement considéré une seule substance ou l’exposition totale aux composés d’une même famille chimique, comme les polychlorobiphényles (PCB). Dans les études qui se sont intéressées à l’exposition conjointe à plusieurs polluants, leurs effets ont été estimés séparément à l’aide de modèles de régression linéaires habituels, ce qui ne rend pas compte des corrélations et interactions possibles entre les différentes substances d’un mélange. Un modèle de régression non linéaire combiné à une nouvelle approche weighted quantile sum (WQS) a été utilisé pour cette étude cas-témoins aux États-Unis, afi n d’analyser l’effet de l’exposition à un mélange de 27 polluants de la poussière domestique (cinq PCB, sept hydrocarbures aromatiques polycycliques [HAP] et 15 pesticides). Cette méthode a précédemment montré son intérêt dans des situations de colinéarité statistique entre variables prédictives. Elle permet de construire un indice WQS représentant le mélange qui tient compte du niveau de concentration des différents composants, et d’estimer le poids de chacun dans l’effet observé par une technique de ré-échantillonnage (bootstrap) qui fait émerger les composants les plus importants (« bad actors »). L’une des limites de la régression WQS est qu’elle ne peut pas mettre en évidence d’éventuelles associations négatives au sein du mélange. La somme des poids individuels doit être égale à 1 et chacun ne peut être inférieur à 0, qui est le score minimal attribué à l’étape de pondération sur le quantile (quartile dans cette étude) lorsque la concentration de la substance se situe dans le premier segment de la distribution dans la population totale. L’exposition et le risque étant contraints d’évoluer dans la même direction, la régression WQS peut tout au plus attribuer un poids quasi nul à une substance qui serait en réalité protectrice.

 

Population et matériel de l’étude

L’association entre l’exposition au mélange considéré et le risque de LNH a été examinée dans une population de 1 180 sujets, dont 672 cas et 508 témoins. Les cas, âgés de 20 à 74 ans, dont le diagnostic de LNH avait été posé entre juillet 1998 et juin 2000, provenaient de quatre centres nationaux de lutte contre le cancer (État de l’Iowa, comté de Los Angeles, agglomérations de Détroit et Seattle). Les témoins, appariés aux cas sur le sexe, l’âge, l’origine ethnique et le site investigateur, avaient été recrutés parmi les bénéficiaires des programmes Medicare et Medicaid ou dans la population générale pour les personnes de moins de 65 ans (méthode d’échantillonnage par appel téléphonique aléatoire). Cette population finale était issue d’une population éligible beaucoup plus nombreuse (1 728 cas et 2 046 témoins) dans laquelle les taux de participation avaient été respectivement de 76 et 52 %. L’ensemble des participants avait été interrogé à domicile (questions sociodémographiques, sur l’habitat, l’utilisation de pesticides et les histoires résidentielle et professionnelle), mais la collecte de la poussière (prélevée dans les sacs des aspirateurs) n’avait été effectuée que si au moins la moitié des tapis ou moquettes était en place depuis plus de 5 ans, afin de mieux refléter l’exposition chronique. Les niveaux de concentration des HAP (benz[a]anthracène, benzo[a]pyrène, benzo[b]fl uoranthène, benzo[k]fl uoranthène, chrysène, dibenzo[ah]anthracène et indéno[1,2,3-cd]pyrène) étaient étroitement corrélés (coefficient « r » de Spearman allant de 0,87 à 0,96). Les corrélations entre PCB (congénères 105, 138, 153, 170 et 180) étaient également toutes significatives (r compris entre 0,69 et 0,91). Elles étaient plus faibles entre les pesticides et entre les trois groupes de substances. Les concentrations médianes de PCB étaient similaires dans les quatre sites, mais celles des HAP et des pesticides variaient considérablement d’un site à l’autre. Les niveaux des sept HAP étaient plus élevés à Détroit qu’ailleurs, tandis que les concentrations de plusieurs pesticides étaient particulièrement importantes dans l’Iowa (carbaryl, acide 2,4-dichlorophénoxyacétique [2,4-D], méthoxychlor et dicamba) et le comté de Los Angeles (g-chlordane, trans-perméthrine, diazinon, propoxur). Tenant compte de ces différences régionales, l’analyse principale dans la population totale a été complétée par des analyses spécifiques à chaque site, avec des indices WQS construits en référence à la distribution des concentrations dans les populations de Détroit (n = 202), Seattle (n = 346), l’Iowa (n = 340) et Los Angeles (n = 292). Toutes les analyses ont été ajustées sur le sexe, l’âge, l’origine ethnique et le niveau d’études.

 

Résultats

L’indice WQS est associé au LNH dans la population totale (odds ratio [OR] égal à 1,30 [IC95 : 1,08-1,56] pour une augmentation d’un quartile), ainsi qu’à Détroit (OR = 1,71 [1,02- 2,92]), Los Angeles (OR = 1,44 [1-2,08]) et dans l’Iowa (OR = 1,76 [1,23-2,53]). L’association n’est pas statistiquement significative à Seattle (OR = 1,39 [0,97-1,99]).

L’analyse principale suggère la responsabilité particulière du PCB 180 et du propoxur (insecticide de la famille des carbamates) dont les poids respectifs sont estimés à 0,32 et 0,17 (si les 27 substances du mélange « comptaient » à parts égales, le poids de chacune serait de 0,037). Ces deux substances ressortent également à Seattle (poids du propoxur = 0,16 et poids du PCB 180 = 0,14, comme celui du DDE, métabolite du DDT [dichlorodiphénytrichloréthane]). À Détroit, l’association entre l’exposition au mélange et le risque de LNH apparaît portée par les PCB 180 (poids = 0,18) et 170 (0,17), ainsi que par le méthoxychlor (0,12). Dans l’Iowa, les substances les plus importantes sont le propoxur (0,30) et trois pesticides (g-chlordane [0,12], phénylphénol et DDE [0,11]). À Los Angeles, les substances identifiées comme les plus importantes sont le benzo[k]fl uoranthène (poids = 0,30), le PCB 153 (0,12) et le 2,4-D (0,11).

Ces résultats sont partiellement cohérents avec ceux d’analyses complémentaires classiques « substance par substance ». Ainsi, dans la population totale, l’OR de LNH dans le dernier quartile de concentration du PCB 180 (comparativement au premier) est égal à 1,55 (IC95 : 1,11-2,17). En revanche, l’association avec le propoxur (identifié comme un composant important du mélange par la régression WQS) n’est pas significative (OR = 1,27 [0,9-1,79]). Les substances paraissant diminuer le risque de LNH dans l’analyse classique, comme le diazinon (OR = 0,79 [0,56-1,1]), le dicamba (OR = 0,74 [0,53-1,04]) et le chrysène (OR = 0,79 [0,53-1,17]) sont généralement identifiées comme ayant un poids négligeable (< 0,005) par la régression WQS.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Czarnota J, Gennings G, Colt JS, et al. Analysis of environmental chemical mixtures and non-Hodgkin lymphoma risk in the NCI-SEER NHL Study. Environ Health Perspect 2015; 123: 965-70.

Department of Biostatistics, School of Medicine, Virginia Commonwealth University, Richmond, États-Unis.

doi: 10.1289/ehp.1408630