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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition à un champ magnétique d’extrêmement basse fréquence et leucémie : nouveau regard sur les études

Cette analyse inédite de l’ensemble des résultats des études sur la relation entre l’exposition à un champ magnétique d’extrêmement basse fréquence et le risque de leucémie de l’enfant ajoute un argument de plus à l’encontre d’un lien causal.

This novel analysis of all of the results of studies of the relations between extremely low frequency magnetic field exposure and the risk of childhood leukemia adds further evidence against a causal association.

Bien que les données expérimentales ne soutiennent pas la plausibilité d’une association entre l’exposition à un champ magnétique d’extrêmement basse fréquence (CM-EBF) et la leucémie infantile, ce sujet continue de motiver la réalisation d’études épidémiologiques depuis la publication, en 1979, d’une étude cas témoins dans laquelle l’exposition avait été estimée d’après le code de câblage électrique autour du domicile (wiring code). L’accumulation des études ne parvient pas à faire le clair sur la réalité de cette association, ce que traduit le classement des CM-EBF par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) dans le groupe 2B des agents « possiblement cancérogènes pour l’homme ». En 35 ans de recherches, diverses méthodes ont été utilisées pour évaluer l’exposition au CM-EBF en l’absence d’identification d’un mécanisme biologique pouvant expliquer des effets cancérogènes, qui aurait permis de déterminer la métrique d’exposition adéquate. Aucun rationnel ne justifie donc qu’une méthode soit rejetée a priori ou jugée plus pertinente qu’une autre, et les résultats de toutes les études devraient pouvoir être considérés ensemble. Ce n’est pas le cas dans les méta-analyses, contraintes d’opérer une sélection restrictive d’études suffisamment comparables, en particulier pour l’évaluation de l’exposition.

Cette nouvelle analyse des données épidémiologiques, n’excluant aucune étude, constitue donc une approche originale. Tous les résultats (exprimés sous forme d’odds ratio [OR]) rapportés dans 36 études sur la leucémie de l’enfant ont été classés, d’une part selon la date de publication, et, d’autre part, selon le nombre de cas exposés. Le premier classement repose sur l’hypothèse de travail suivante : l’accumulation de l’expérience scientifique au fil du temps s’est accompagnée d’améliorations en termes de conception et de méthodologie des études ; s’il existe une relation causale entre l’exposition au CM-EBF et le risque de leucémie, elle doit se manifester par une tendance à rapporter des associations significatives qui s’affirme dans le temps. L’hypothèse qui fonde le second classement est que la puissance statistique d’une étude, et donc la fiabilité des résultats, augmentent avec le nombre de cas exposés.

 

Résultats

La représentation graphique des résultats des études selon leur date de publication ne dégage aucune tendance temporelle, ni dans un sens, ni dans l’autre. Les OR se répartissent de part et d’autre de la valeur « 1 », indiquant tantôt une augmentation du risque de leucémie, tantôt sa diminution. Le nombre total d’OR au-dessus de 1 (résultats significatifs et non significatifs rassemblés) est toutefois plus important que le nombre d’OR en-dessous de cette ligne. La seconde représentation graphique est comparable à la première (OR tantôt au-dessus, tantôt en-dessous de 1, et plus nombreux au-dessus) mais elle offre un éclairage intéressant : les résultats statistiquement significatifs sont issus d’études qui ont inclus un petit nombre de cas exposés. Plus ce nombre augmente, plus la valeur des OR se rapproche de 1.

La même tendance est observée avec les résultats de 13 études sur les cancers de l’enfant à l’exception de la leucémie : les OR s’éparpillent d’autant plus de part et d’autre de la valeur « 1 » que le nombre de cas exposés est faible, et seules des études ayant inclus moins de 100 cas exposés rapportent des OR statistiquement significatifs. La représentation des résultats de cinq études sur la relation entre l’utilisation de divers appareils électriques et divers cancers de l’enfant (incluant la leucémie) confirme ce resserrement des OR autour de 1 avec l’augmentation du nombre de cas exposés, alors que le type d’exposition diffère (par son caractère intermittent, son intensité beaucoup plus élevée et son orientation vers une partie du corps) de l’exposition résidentielle au CM-EBF émis par les lignes de transport d’électricité à haute tension.

 

Qu’en déduire ?

Cette nouvelle analyse de la littérature révèle une tendance uniforme au rapprochement des OR autour de la valeur « 1 » avec l’augmentation du nombre de cas exposés, quels que soient la source d’exposition, la méthode utilisée pour évaluer l’exposition, le type d’exposition et le type de cancer étudié. Cette tendance s’observe pour la leucémie comme pour les tumeurs cérébrales ou d’autres cancers pour lesquels tout lien avec l’exposition à un CM-EBF a été exclu. L’effet « faible nombre de cas exposés » fournit une explication à l’apparente augmentation quasi exponentielle des OR de leucémie quand l’exposition résidentielle au champ magnétique passe de 0,2 à 0,4 microteslas (μT). Ce qui était difficilement interprétable comme un effet dose-réponse à partir d’un seuil de 0,2 μT étant donné les connaissances relatives à des niveaux d’exposition beaucoup plus importants, semble résulter simplement de la tendance à une augmentation des OR avec la diminution du nombre de cas exposés. Deux questions demeurent : jusqu’où aller pour que la certitude soit suffisamment certaine ? – combien d’études supplémentaires seraient encore nécessaires pour exclure l’hypothèse d’un lien entre l’exposition au CM-EBF et la leucémie – et jusqu’où aller pour atteindre un niveau de sécurité suffisamment sûr pour satisfaire la demande irréaliste d’un risque zéro alors que nos choix de tous les jours tiennent compte d’un niveau de risque résiduel acceptable. Ces questions concernent plus les politiques que les scientifiques selon l’auteur de cet article, qui estime qu’il est temps de déclasser les CM-EBF du groupe 2B.

Laurence Nicolle-Mir

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Commentaires

Quelles chances a cet article d’être suivi dans ses conclusions, qui sont d’obtenir un déclassement des rayonnements d’extrêmement basses fréquences, ceux des lignes à haute tension, du groupe 2B du Centre international de recherche contre le cancer ? Elles sont sans doute nulles, bien que la méthodologie proposée soit plutôt innovante, tout en utilisant, mieux que les méta-analyses, les résultats des études de cohortes publiées ces 25 dernières années. Mais le sujet est tellement chargé d’émotion (il s’agit de maladies très lourdes de l’enfant) que le doute restera présent, et que d’autres études seront réclamées, même si aucun mécanisme biologique ne peut être invoqué sérieusement pour expliquer une éventuelle causalité. Le sujet n’est donc pas en voie d’épuisement.

Jean-François Lacronique

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Publication analysée :

Leitgeb N1. Childhood leukemia not linked with ELF magnetic fields. Journal of Electromagnetic Analysis and Application 2014; 6: 174-83.

doi: 10.4236/ jemaa.2014.67017 

 

1 Institute of Health Care Engineering with European Notified Body of Medical Devices, Graz University of Technology, Graz, Autriche.