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ANALYSE D'ARTICLE

Estimation du poids de neuf facteurs de risque environnementaux en Europe

Cet article présente et commente la méthode et les résultats du projet Environmental Burden of Disease in European countries, dont l’objectif était d’estimer le fardeau, pour la santé publique, de l’exposition à neuf facteurs de risque environnementaux de maladies, dans six pays d’Europe de l’Ouest. L’impact des particules fines est, de loin, le plus important, devant ceux du tabagisme passif, du bruit et du radon.

 

This article presents and comments on the method and results of the Environmental Burden of Disease in European countries project, which sought to assess the public health burden of exposure to nine environmental risk factors of disease in six western European countries. The impact of PM2,5 is by far the greatest, before those of passive smoking, noise and radon.

Lancé en 2009, le projet Environmental Burden of Disease in European countries (EBoDE) s’est focalisé sur le benzène, les dioxines (incluant les furanes et les polychlorobiphényles [PCB] à activité dioxin-like), la fumée de tabac environnementale (tabagisme passif), le formaldéhyde, le plomb, le bruit du trafic (lié aux transports routiers, ferroviaires et aériens), l’ozone, les particules fines (PM2,5) et le radon. Cette sélection a été guidée par des considérations d’ordres sanitaire, économique et pratique, en particulier la disponibilité des données nécessaires à l’estimation du fardeau du facteur environnemental (Environmental Burden of Disease – EBoD).

 

Méthode

Pour chaque facteur, seuls ses effets sanitaires suffisamment documentés et quantifiés ont été retenus, sur la base, en priorité, de revues systématiques de la littérature de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Un seul effet a été considéré pour le benzène (leucémie), les dioxines (cancer, toutes localisations), le formaldéhyde (aggravation d’un asthme chez l’enfant de moins de 3 ans) et le radon (cancer du poumon). Deux effets ont été retenus pour le plomb (retard mental et hypertension artérielle) et le bruit du trafic (perturbations sévères du sommeil et cardiopathie ischémique). Quatre l’ont été pour l’ozone (mortalité totale, journées d’activité réduite, toux et symptômes respiratoires bas chez l’enfant âgé de 5 à 14 ans) et cinq pour la fumée de tabac environnementale (cancer du poumon, cardiopathie ischémique, induction d’un asthme quel que soit l’âge, infections respiratoires basses chez le nourrisson de moins de 2 ans, otite moyenne aiguë de l’enfant de moins de 3 ans) ainsi que pour les PM2,5 (mortalité cardiopulmonaire, mortalité par cancer du poumon, mortalité totale, bronchite chronique et journées d’activité réduite).

Trois méthodes ont été appliquées pour estimer l’EBoD en fonction des données disponibles. Lorsqu’il existait une estimation du fardeau de la maladie (Burden of Disease – BoD), celle-ci a été multipliée par la fraction attribuable au facteur environnemental dans la population considérée (population-attributable fraction - PAF). La fraction attribuable a été calculée différemment selon que la relation exposition-réponse était fondée sur des risques relatifs ou des excès de risque unitaire. En l’absence d’estimation préexistante du BoD (ce qui était le cas, par exemple, pour les perturbations sévères du sommeil dues au bruit), l’EBoD a été estimé en multipliant le nombre de cas attribuables par un facteur de gravité compris entre 0 et 1 (décès) et le nombre moyen d’années de vie perdues (mortalité prématurée) ou d’années de vie en bonne santé perdues (morbidité).

 

Estimations et interprétation

La contribution des neuf facteurs, considérés ensemble, au fardeau total des maladies est estimée à 3,3 % pour la Finlande, 4,4 % pour la France, 5,4 % pour l’Allemagne, 5,6 % pour les Pays-Bas et 6,9 % pour l’Italie.

L’EBoD des particules fines est estimé entre 4 600 (Finlande et France) et 10 500 (Belgique) années de vie ajustées sur l’incapacité (AVAI) perdues chaque année pour 1 million d’habitants. L’exposition aux PM2,5 contribue à hauteur de 68 % à l’EBoD des neuf facteurs rassemblés. Viennent ensuite la fumée de tabac environnementale et le bruit (qui contribuent chacun à environ 8 % de l’EBoD total avec un nombre d’AVAI allant de 600 à 1 200 par an et million d’habitants selon les pays pour la fumée de tabac et compris entre 400 et 1 500 pour le bruit). La contribution de l’exposition au radon est estimée à 7 % (entre 450 et 1 100 AVAI par an et million), et celles des dioxines et du plomb sont estimées à 4 %. La contribution de l’exposition à l’ozone est seulement de 1 % et celles de l’exposition au formaldéhyde et au benzène dans l’air apparaissent négligeables (respectivement moins de 2 et 5 AVAI par an et million d’habitants).

Ces estimations fournissent des éclairages utiles à l’établissement des politiques de santé publique, en permettant d’identifier, parmi différents facteurs de risque environnementaux, ceux vers lesquels il convient, en priorité, d’orienter les efforts et les ressources budgétaires. Toutefois, les chiffres nécessitent d’être interprétés avec réflexion. Le potentiel de réduction de l’impact sanitaire d’un facteur de risque n’est pas forcément proportionnel à son poids. Certaines expositions peuvent être plus facilement limitées que d’autres, en fonction des sources (d’origine naturelle ou anthropique) qui peuvent être plus ou moins contrôlables. Un facteur contribuant faiblement au fardeau des maladies pour l’ensemble de la population peut néanmoins nécessiter des actions en direction de sous-groupes de populations spécifiques. Le projet EBoDE n’a pas permis de fournir des estimations de l’impact sanitaire des neuf facteurs de risque étudiés dans des populations très exposées ou particulièrement sensibles. Par ailleurs, le grand nombre de données et d’informations nécessaires au calcul d’un EBoD entraîne de nombreuses sources d’incertitudes. Elles ne paraissent pas d’ordre à remettre en cause la hiérarchie établie par ce travail, largement dominée par les particules fines, qui est cohérente avec la littérature et robuste à des analyses de sensibilité et alternatives. Les sources d’incertitudes ont été identifiées et examinées pour chaque facteur de risque et leur influence a été évaluée : la fiabilité des estimations concernant l’impact des PM2,5, de la fumée de tabac, du radon et du benzène a été jugée élevée. Un niveau d’incertitude modéré a été attribué aux estimations de l’EBoD du bruit, du plomb et de l’ozone, et un niveau d’incertitude élevé a été attribué aux estimations de l’impact sanitaire des dioxines et du formaldéhyde. Concernant les dioxines, l’incertitude résulte notamment des difficultés de distinguer leurs effets de ceux d’autres substances et d’évaluer l’effet de faibles doses, de la méconnaissance de la plupart des seuils, et de la non prise en compte d’autres effets que le cancer, par impossibilité de les quantifier. L’incertitude associée à l’EBoD du formaldéhyde provient notamment de la difficulté de sélectionner des effets sanitaires et des seuils. Celui de 100 μg/m3 a été appliqué, mais il est rarement dépassé en Europe, sauf en Finlande ou les niveaux de formaldéhyde dans l’air intérieur sont particulièrement élevés en raison des matériaux de construction utilisés et de l’étanchéité des bâtiments. La variabilité des niveaux de radon en fonction de la nature du sol et de facteurs propres au logement limite également la possibilité de généraliser les résultats.

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Hänninen O1, Knol AB, Jantunen M, et al. Environmental burden of disease in Europe : assessing nine risk factors in six countries. Environ Health Perspect 2014; 122: 439-46.

doi: 10.1289/ehp.1206154

 

1 National Institute for Health and Welfare (THL), Department of Environmental Health, Kuopio, Finlande.