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ANALYSE D'ARTICLE

Estimation du phénomène de déplacement de mortalité en fonction de l’intensité de la chaleur

Estimant la part du déplacement de mortalité dans l’excès de mortalité dû à une vague de chaleur, cette étude qui compare sept villes des États-Unis montre qu’elle diminue partout avec l’augmentation des températures. Les conditions climatiques habituelles semblent déterminer le seuil de température à partir duquel la canicule commence à emporter des personnes dont l’espérance de vie n’était pas limitée.

This comparative study of seven US cities shows that the proportion of mortality displacement in excess deaths due to heat waves decreases everywhere as temperatures increase. Usual climate conditions seem to determine the temperature threshold above which people with no specifically limited life expectancy die in a heat wave

L’observation d’une période de sous-mortalité au décours d’une période de surmortalité contemporaine d’une vague de chaleur soutient l’hypothèse d’un phénomène de déplacement de mortalité. Par nature, ce phénomène qui correspond à l’avancée dans le temps de décès survenant dans la frange de la population la plus fragile (personnes âgées, souffrant de maladies chroniques, etc.), est susceptible de varier d’un lieu à l’autre en fonction des caractéristiques démographiques et de l’état de santé général de la population. L’ampleur du déplacement de mortalité pourrait aussi dépendre d’autres facteurs expliquant l’hétérogénéité des effets d’une vague de chaleur, tels que sa sévérité (en termes de températures atteintes et de durée), le climat habituel du lieu affecté (et donc l’état d’adaptation et de résistance de la population au stress thermique) et le moment de survenue de l’anomalie climatique au cours de la saison chaude.

Accroître les connaissances dans ce domaine permettrait d’estimer plus précisément l’impact d’une canicule sur la mortalité, en distinguant les décès qui ont été seulement précipités des décès réellement en excès. En caractérisant les événements les plus coûteux en termes de temps de vie perdu, la dangerosité d’une vague de chaleur à venir pourrait être prévue et le niveau d’alerte adapté. Cette comparaison du déplacement de mortalité en fonction de l’intensité de la chaleur dans sept villes des États-Unis aux climats contrastés permet d’avancer en ce sens.

 

Données utilisées et méthode

Les villes étudiées étaient Atlanta, Boston, Minneapolis, Philadelphie, Phoenix, Seattle et Saint-Louis. La période d’observation allait de 14 ans pour Atlanta, où les comptes journaliers de mortalité (toutes causes) étaient disponibles depuis 1994, jusqu’à 30 ans pour Saint-Louis disposant d’un registre depuis 1980. La durée d’observation moyenne était de 21 ans. La donnée climatique utilisée était la température apparente, qui tient compte de l’humidité et reflète mieux le stress subi par l’organisme que la température seule. Les vagues de chaleur ont été défi nies comme des périodes d’au moins 3 jours consécutifs avec une température apparente maximale d’après-midi au-dessus d’un certain seuil. Pour chaque ville, les auteurs ont fait varier le seuil entre le 80e et le 100e percentiles de la distribution des températures

au cours de la période étudiée, et les seuils permettant d’identifier au moins 10 vagues de chaleur ont été considérés pour l’analyse. Lorsqu’un même événement était identifié pour plusieurs valeurs de seuil, la valeur la plus élevée a été retenue, aboutissant à un jeu unique de seuils de température et d’événements correspondants.

L’impact de chaque vague de chaleur sur la mortalité a été estimé sur une période allant du premier jour de l’événement jusqu’à 15 jours après sa fin (ou jusqu’au début de l’événement suivant en cas de vague de chaleur intercurrente). Des analyses de séries temporelles ont été réalisées afin de compter les décès « en plus » et les décès « en moins » par rapport à une valeur de base. Les données de tous les événements correspondant à un même seuil de température ont été moyennées, et des courbes d’excès et de déficit de mortalité en fonction du seuil ont été établies pour chaque ville. L’importance du phénomène de déplacement de mortalité a été estimée en divisant le déficit de mortalité par l’excès de mortalité.

 

Apports de l’étude

Malgré la diversité des seuils de température caractérisant les vagues de chaleur d’une ville à l’autre, toutes les courbes d’excès de mortalité montrent que la surmortalité augmente avec la température. En revanche, le déficit de mortalité varie peu ou pas avec l’intensité de la chaleur et est observé même pour des seuils de température autour du 80e percentile. La période post-événement investiguée était toutefois brève (15 jours), ce qui ne permet de capter que le déplacement de mortalité à court terme, qui touche les sujets dont l’état de santé est le plus compromis. Une plus longue période d’investigation serait nécessaire pour estimer l’éventuel impact des vagues de chaleur les plus intenses sur des groupes de sujets en meilleure santé.

Aux seuils de température les plus bas, le rapport déficit sur excès de mortalité avoisine 1 à Atlanta, Boston, Minneapolis et Saint-Louis, ce qui signifie que la quasi-totalité des décès résulte d’un déplacement de mortalité. À Philadelphie, Seattle et Phoenix, ce rapport est compris entre 0,8 et 0,9, ce qui indique que les vagues de chaleur les moins intenses ont déjà un effet significatif sur la mortalité. Le rapport déficit sur excès de mortalité diminue ensuite avec l’augmentation des températures dans toutes les villes, pour atteindre, aux seuils les plus élevés, des valeurs comprises entre 0,35 (IC95 = 0,21- 0,55) à Philadelphie et 0,75 (IC95 = 0,54-

0,97) à Boston. Sa valeur moyenne est de 0,57 et excède 0,50 dans cinq des sept villes, ce qui signifie qu’environ la moitié des décès imputables aux vagues de chaleur les plus intenses sont à mettre sur le compte du déplacement de mortalité. Ne pas prendre en compte ce phénomène dans les études épidémiologiques revient à surestimer grandement l’impact global d’une vague de chaleur sur la mortalité.

La mise en commun des résultats des différentes villes fait apparaître une relation étroite entre la température à partir de laquelle l’excès de mortalité dépasse le simple déplacement et la température apparente maximale moyenne (coefficient de corrélation R2 = 0,64) ou la température estivale moyenne (R2 = 0,78). Cette relation illustre le rôle de l’adaptation de la population aux conditions climatiques ambiantes et suggère que le seuil de température à partir duquel la chaleur a un effet significatif sur la mortalité est prévisible. Les données d’un nombre plus important de villes doivent toutefois être examinées avant d’en tirer une conclusion générale. De plus, il reste nécessaire de considérer d’autres variables que l’intensité de la chaleur : en premier lieu la durée de la vague de chaleur et le niveau de la pollution atmosphérique.

 

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Saha MV1, Davis RE, Hondula DM. Mortality displacement as a function of heat event strength in 7 US cities. Am J Epidemiol 2014; 179: 467-74.

doi: 10.1093/aje/kwt26410.1097/EDE.0b013e3182949ae7

 

1 Department of Environmental Sciences, University of Virginia, Charlottesville, États-Unis