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ANALYSE D'ARTICLE

Éoliennes et santé : état des connaissances

La littérature existante ne fournit pas d’élément convaincant pour incriminer le bruit des éoliennes, et en particulier les infrasons qu’elles émettent, dans les plaintes rapportées au voisinage des installations. La gêne apparaît être un phénomène complexe dans lequel le bruit joue un rôle mineur à côté d’autres facteurs encore mal identifiés.

The existing literature provides no convincing elements to incriminate noise from wind turbines, and particularly the infrasound they emit, in complaints reported in the areas around the wind farms. The annoyance seems to be a complex phenomenon in which noise plays a minor role compared to other as yet poorly identified factors.

Les co-auteurs de cette revue exhaustive de la littérature scientifique (excluant toute autre source que des articles publiés dans des revues à comité de lecture, sinon des rapports d’agences gouvernementales) rassemblent une expertise en médecine du travail et environnementale, en acoustique, épidémiologie, otorhinolaryngologie, psychologie et santé publique. La revue a été menée dans l’objectif de répondre à trois questions : « Existe-t-il des preuves suffisantes pour conclure que les éoliennes affectent la santé humaine ? Et si tel est le cas, quelles sont les situations entraînant des effets néfastes et comment les prévenir ? » ; « Existe-t-il des preuves pour conclure que vivre à proximité d’éoliennes peut entraîner un stress psychologique, une gêne ou perturber le sommeil ? Quelles en sont les conséquences pour la santé et comment les prévenir ? » ; « Existe-t-il des données indiquant que des aspects propres au bruit des éoliennes, comme les infrasons et les sons de basse fréquence, peuvent conduire à des effets sanitaires spécifiques qui ne sont pas associés à d’autres sources de bruit environnemental ? ».

Les auteurs ont notamment examiné 14 études observationnelles répondant à leurs critères de sélection, sur environ 80 articles issus d’une recherche via PubMed et Google Scholar. Ces 14 études étaient toutes de type transversal ou enquêtes et concernaient huit populations distinctes, vivant en Suède, Allemagne, Danemark, Nouvelle-Zélande, Pologne, et aux Pays-Bas, Royaume-Uni et États-Unis (six articles se rapportaient à des populations déjà étudiées : nouvelle analyse ou analyse de données combinées).

Cette littérature n’apporte pas de preuve convaincante d’un lien entre le bruit des éoliennes et une quelconque pathologie. Elle montre qu’une proportion variable, généralement faible, de sujets habitant à proximité d’éoliennes, rapporte une gêne (annoyance, qui pourrait aussi se traduire par désagrément, agacement, inconfort) dont la valeur en tant qu’effet sanitaire adverse est discutable, bien qu’il s’agisse d’un critère utilisé dans les études sur le bruit environnemental depuis des décennies.

 

 

Les déterminants de la gêne

Certaines caractéristiques du bruit éolien comme son intermittence, sa variation d’amplitude, son rythme « pulsé » (partagées par d’autres phénomènes sonores comme le bruit des vagues, de certains systèmes de ventilation et de climatisation et du trafic ferroviaire ou routier) semblent augmenter sa perception et la gêne qui en découle. De nombreux autres facteurs interviennent, tels que le type d’environnement rural ou urbain, la topographie des lieux et la visibilité des éoliennes, l’opinion des sujets quant aux éoliennes en général et à leur impact sur le paysage en particulier, ainsi que certains traits de personnalité (disposition à éprouver des émotions négatives, sensibilité aux dangers de l’environnement, tendance à évaluer les situations comme menaçantes, etc.) et le bénéfice financier tiré de la présence des éoliennes. La gêne n’est pas corrélée ou mal corrélée au niveau du bruit mesuré. La sensibilité au bruit (qui est très variable d’une personne à l’autre mais constitue un trait psychologique stable) contribue également de façon modeste à la gêne. Elle est corrélée à l’effet visuel et possiblement à celui de l’intérêt économique, qui semble faible, dans la mesure où les personnes faisant le choix d’héberger des éoliennes dans leur propriété en échange d’une compensation financière pourraient être plus tolérantes au bruit que d’autres. L’ensemble des déterminants de la gêne identifiés jusqu’à présent n’explique que la moitié de sa variance.

 

Les autres plaintes rapportées

La gêne est régulièrement associée à des troubles du sommeil et à une altération de la qualité de vie et du bien-être psychologique (les sujets rapportant un état de tension, de stress, d’irritabilité, etc.). Les faiblesses des études, en particulier les taux de participation généralement faibles, quand ils sont connus, les biais de sélection, de mémorisation et l’absence de mesures objectives empêchent toute conclusion. L’évaluation simultanée de l’exposition et de la présence de symptômes ne permet pas d’établir une séquence temporelle ni d’écarter une causalité inverse (le fait d’être tendu, irritable et de mal dormir pourrait accroître la perception d’un bruit et la gêne qui y est liée).

Les deux études dans lesquelles la qualité de vie a été mesurée sur des échelles validées (SF36) fournissent des résultats contradictoires. Une étude britannique comparant un groupe de 38 sujets résidant à une distance comprise entre 375 et 1 400 m de l’éolienne la plus proche, à un groupe de 41 participants vivant à une distance comprise entre 3,3 et 6,6 km montre que les sujets du premier groupe, ont un sommeil de moins bonne qualité, sont plus somnolents dans la journée et ont de moins bons scores au SF-36 que les sujets habitant loin des éoliennes. L’étude présente des défauts majeurs, en particulier la différence de traitement entre les deux groupes : les sujets du premier – tous plaignants dans un procès contre l’exploitant du parc d’éoliennes – avaient été en contact direct avec l’investigateur principal de l’étude avant son démarrage, tandis que les sujets de l’autre groupe avaient été interrogés par un assistant par téléphone. Dans la plus vaste des 14 études passées en revue, réalisée en Pologne (1 277 participants répartis en quatre groupes en fonction de la distance entre l’habitation et l’éolienne la plus proche), les sujets du premier groupe (éolienne à moins de 700 m) présentent le meilleur score de qualité de vie et les sujets du dernier groupe (éolienne à plus de 1 500 m) le moins bon. L’argument économique (location d’un terrain et opportunité d’emploi) est avancé pour expliquer ce résultat.

Les auteurs concluent que l’accumulation de travaux de même nature que ceux déjà disponibles (études transversales ou enquêtes) ne permettra pas de faire progresser les connaissances. Des études prospectives de cohortes, suffisamment vastes et bien conduites, qui suivraient l’évolution de l’incidence de pathologies au fil du temps après l’implantation d’éoliennes seraient nécessaires. Le niveau d’attention porté à ce sujet médiatique et la diffusion de témoignages d’effets imputés aux éoliennes rend toutefois difficile l’étude d’une population réellement « aveugle » à l’hypothèse testée.

 

La question des infrasons

La littérature ne fournit pas de preuve que les infrasons (moins de 20 Hz) et les sons de basse fréquence (entre 20 et 200 Hz) émis par les turbines entraînent des effets sanitaires néfastes. Concernant les infrasons, qui peuvent être entendus par l’oreille humaine s’ils sont suffisamment puissants, les mesures réalisées montrent que leurs niveaux à des distances aussi proches que 300 mètres d’une éolienne n’atteignent pas le seuil d’audibilité (85 dB). À une distance d’1,5 km, la contribution des éoliennes au niveau d’infrason est insignifiante par rapport au niveau de fond.

Des efforts doivent néanmoins être accomplis pour mieux caractériser l’exposition au son émis par les éoliennes. En l’absence de recommandation spécifique, la méthodologie générale pour la mesure du son environnemental est appliquée. Le principal problème rencontré au cours de l’enregistrement est le pseudo-son généré par l’air qui lèche le micro en cas de vent fort. Cet effet peut être minimisé par un écran protecteur ou en abaissant le micro pour le placer plus près du sol. L’élimination des données collectées pendant des périodes venteuses n’est pas adaptée au cas particulier des éoliennes dont le son maximum peut coïncider avec des vitesses de vent supérieures à 5 m/s. Des recommandations sont attendues pour atténuer l’effet de vents forts et améliorer les mesures dans la bande des infrasons. Outre l’établissement d’une méthode de mesure standardisée, il serait utile de développer des modèles capables de prédire les niveaux de bruit émis par les éoliennes dans différentes conditions.

Bien que les études chez des sujets professionnellement exposés à des infrasons montrent que le seuil d’effets adverses est très supérieur au niveau émis par les éoliennes (la NASA considère par exemple qu’une exposition inférieure à 140 dB est sans danger pour les astronautes), l’hypothèse que des sons inaudibles ou des vibrations contribuent à certaines sensations physiques désagréables rapportées par les riverains d’éoliennes pourrait être facilement testée dans des expérimentations comparant les effets d’expositions réelles et simulées. Une première étude a été réalisée, qui ne montre pas de différence entre l’exposition et la simulation, mais le niveau des infrasons (40 dB) était inférieur au seuil d’audibilité et à la valeur mesurée dans certaines résidences proches d’éoliennes. Les protocoles doivent se rapprocher des conditions réelles en soumettant les sujets à des sons comparables à ceux émis par les turbines et mesurés à des distances résidentielles.

La possibilité d’effets adverses à long terme du son inaudible pourrait aussi être testée chez l’animal. Aucun argument ne soutient l’hypothèse d’effets sur l’oreille interne tels qu’une activation des cellules ciliées externes de la cochlée ou une stimulation du système vestibulaire qui pourraient conduire à des perturbations physiologiques ou à des sensations vertigineuses. Toutefois des expérimentations pertinentes n’ont pas encore été menées pour examiner l’éventualité très peu probable d’une augmentation de la pression du liquide dans le labyrinthe. Elles pourraient l’être chez le cobaye, qui développe des hydrops endolymphatiques en réponse à d’autres types d’interventions.

 

Laurence Nicolle-Mir

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Commentaires

Cet article très sérieux traite du problème des effets sur la santé des éoliennes industrielles en s’appuyant à la fois sur la prise d’information concernant les émissions acoustiques (amplitudes et fréquences) associées aux enquêtes épidémiologiques sur le sujet. Ce que les auteurs confirment, c’est l’absence de preuve de lien entre maladies et éoliennes.

Toutefois, deux questions ne font pas l’objet de cette étude, celle liée à une relation entre nuisance acoustique et retard éducatif (comme cela a été montré au voisinage de certains aéroports ; mais il ne s’agit pas en tant que tel de maladies) et celle de la faiblesse des connaissances sur les liens entre ondes « basses fréquences » et effet sur l’Homme. Ce petit manque d’ouverture n’est en aucun cas préjudiciable à la qualité scientifique indéniable de ce travail.

Jean-Claude André

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Publication analysée :

McCunney RJ1, Kenneth MPH, Mundt A, Colby WD, Dobie R, Kaliski K, Blais M. Wind turbines and health. A critical review of the scientifi c literature. JOEM 2014;56: e108.

doi: 10.1097/JOM.000000000000313

 

1Department of Biological Engineering, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, Grande-Bretagne.