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ANALYSE D'ARTICLE

Effets de l’exposition aux PBDE sur les capacités intellectuelles et attentionnelles de l’enfant : revue de la littérature

Cette revue particulièrement rigoureuse de la littérature conclut à l’existence d’une association entre l’exposition aux polybromodiphényléthers (PBDE) durant le développement et l’altération des capacités intellectuelles. En revanche, les preuves d’un effet sur les capacités attentionnelles sont limitées.

Si les troubles du neurodéveloppement et des apprentissages sont de mieux en mieux dépistés et diagnostiqués, ce progrès ne peut expliquer totalement l’augmentation actuelle de leur prévalence. Aux États-Unis, d’où provient cet article, un enfant (de 3 à 17 ans) sur six en souffrirait selon les réponses parentales à l’enquête de santé nationale 2006-2008.

La toxicité de l’environnement chimique pour le cerveau en développement est l’un des facteurs suspectés de jouer un rôle dans la physiopathologie des troubles neurodéveloppementaux. Les recherches portent en particulier sur les polybromodiphényléthers (PBDE) utilisés en tant que retardateurs de flamme dans la mousse de polyuréthane et les plastiques durs. Ces substances (famille chimique de 209 congénères) ne sont pas physiquement incorporés aux matériaux (liés de façon covalente aux polymères) mais ajoutés (additifs) ; ils peuvent donc s’échapper relativement facilement des nombreux produits de la vie courante qui en contiennent parfois une quantité significative (matelas, canapés, produits de construction et d’ameublement, garnissage automobile, appareils électriques, équipements électroniques, etc.). Les PBDE (principalement les congénères 47, 99, 100 et 153) sont communément détectés dans la poussière domestique et l’organisme humain. Le taux de contamination de la population états-unienne est particulièrement élevé du fait de l’ancienneté de leur utilisation (plus de 40 ans) et d’une réglementation moins sévère que dans d’autres pays. Des restrictions ou interdictions de production et d’utilisation sont en place depuis 2003, comme au Canada et dans l’Union européenne, mais les populations continueront probablement d’être exposées durant plusieurs décennies à ces substances biopersistantes et bioaccumulables.

Neuf revues de la littérature traitant du lien entre l’exposition aux PBDE (qui débute dès la vie in utero) et les troubles neurodéveloppementaux ont été publiées entre 2003 et 2016. Ce nouveau travail focalisé sur les capacités intellectuelles et attentionnelles constitue toutefois la première revue systématique des études épidémiologiques réalisée suivant un Navigation Guide très rigoureux, dans l’objectif d’établir le niveau des preuves (équivalent du système GRADE [Grading of Recommendations Assessment Development and Evaluation] pour l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques à partir d’études cliniques).

 

Sélection des études

Les auteurs ont effectué une recherche (sans restriction de langage ni de date initiale de publication, arrêtée au 26 septembre 2016) dans les bases de données PubMed, ISI Web of Science, Biosis Previews, Embase, Google Scholar et Toxline, complétée par une recherche dans la littérature « grise », visant en particulier à évaluer le biais de publication. Des 2 540 publications identifiées, 15 articles publiés entre 2009 et 2016 ont finalement été retenus, répondant aux critères suivants : étude originale avec mesure des concentrations de PBDE (congénères individuels ou leurs sommes) dans un échantillon biologique ; évaluation quantitative de l’intelligence des enfants (quotient intellectuel [QI]) et/ou de leurs capacités attentionnelles (diagnostic de trouble déficit de l’attention/hyperactivité [TDAH] en particulier) ; comparaison entre groupes « exposé » et « témoin » (niveau de contamination moindre) ou estimation de l’effet de l’exposition dans la fourchette des valeurs du biomarqueur pour la population étudiée.

Les 15 études avaient inclus un total de près de 3 000 paires mères-enfants (la plus petite comptait 35 participants et la plus vaste 622) et toutes avaient mesuré les PBDE dans le sang (maternel, du cordon ou de l’enfant) ou le lait maternel et ajusté les concentrations sur le contenu lipidique. L’âge maternel, le sexe de l’enfant, la parité et diverses covariables d’ordre socio-économique avaient généralement été contrôlés. La population était états-unienne (neuf études), taïwanaise (trois études) ou européenne (Espagne et Pays-Bas : respectivement deux et une études).

Preuves suffisantes d’un effet sur le QI

Dix études de cohortes (dont neuf prospectives et une analyse rétrospective) rapportaient des données exploitables pour apprécier le lien entre l’exposition développementale aux PBDE et l’altération des capacités intellectuelles. Les enfants avaient été évalués entre les âges de 3 et 8 ans par différents tests adaptés à l’âge (Bayley Scales of Infant Development [BSID], Mullen Scales of Early Learning [MSEL], Full Scale IQ [FSIQ] ou McCarthy Scales of Children's Abilities [MSCA]). Les auteurs ont estimé pour chaque étude le risque de biais dans neuf domaines : sélection de la population, constitution des groupes, méthode d’évaluation de l’exposition, méthode de mesure de l’intelligence, contrôle des facteurs de confusion potentiels, complétude des données, exhaustivité des résultats, conflits d’intérêts, autre. Ce risque a été jugé faible, sinon (plus rarement) probablement faible, dans tous les domaines pour quatre des cinq études ayant mesuré le QI d’enfants âgés d’au moins 4 ans (outils utilisés : FSIQ ou MSCA). La cinquième a été moins bien notée dans un domaine (données manquantes : risque de biais probablement élevé). L’évaluation des études dans lesquelles le QI avait été mesuré chez des enfants plus jeunes était globalement moins satisfaisante, mais le risque de biais n’a été estimé élevé que dans un seul domaine pour une seule étude.

La littérature a ensuite été considérée dans son ensemble pour estimer la qualité puis la force des preuves d’un lien entre l’exposition aux PBDE et l’altération du QI. En plus du risque de biais, sept critères ont été considérés pour la qualité : la pertinence des études pour répondre à la question d’intérêt, la cohérence des estimations, leur précision, la probabilité de biais de publication, l’ampleur de l’effet, la tendance dose-réponse et l’influence potentielle de facteurs de confusion résiduels. La qualité globale a été jugée modérée. Deux autres critères ont été pris en considération pour estimer la force des preuves : la constance de la direction de l’association et le niveau de confiance (probabilité que de nouvelles études viennent remettre en cause les conclusions ou que d’autres données viennent atténuer la conviction et renforcer l’incertitude). Les preuves d’un effet délétère de l’exposition aux PBDE sur le QI ont été finalement jugées suffisantes, sur la base des catégories du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) (preuves suffisantes, limitées, insuffisantes/inadéquates ou preuve d’absence de toxicité).

Quatre des cinq études ayant évalué le QI d’enfants âgés d’au moins 4 ans étaient suffisamment comparables (notamment par la mesure du BDE-47 dans le sang maternel ou du cordon) pour une méta-analyse. Son résultat soutient une relation dose-réponse : l’effet d’une multiplication par 10 de l’exposition est une diminution de 3,7 points du QI (IC95 : 0,83-6,56 ; I2 = 0 %). Pour que ce résultat ne soit plus statistiquement significatif, la méta-analyse devrait inclure une étude rapportant une association positive entre l’exposition aux PBDE et le QI, dans laquelle l’effet estimé d’une multiplication par 10 de l’exposition serait un gain de 0,69 points de QI, avec un intervalle de confiance allant de -3,82 à 5,20. Les auteurs estiment très improbable qu’une telle étude, si elle existait, n’ait pas été publiée.

Une méta-analyse n’a pas pu être effectuée pour les capacités attentionnelles, qui avaient été évaluées dans neuf études (huit prospectives et une transversale) trop peu comparables. L’ensemble était de qualité modérée et les preuves d’une association entre l’exposition aux PBDE et le TDAH ou les difficultés d’attention ont été jugées limitées à l’issue de la même démarche que pour le QI. Les résultats des études étaient hétérogènes et en cas d’association positive, le rôle du hasard ou l’influence de biais et de facteurs de confusion non contrôlés ne pouvait pas être raisonnablement écarté.

 


Publication analysée :

*Lam J1, Lanphear BP, Bellinger D, et al. Developmental PBDE exposure and IQ/ADHD in childhood: a systematic review and meta-analysis. Environ Health Perspect 2017 ; 125(8) : 086001. doi : 10.1289/EHP1632

1 Program on Reproductive Health and the Environment, University of California, San Francisco, États-Unis.