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ANALYSE D'ARTICLE

Effets de facteurs individuels sur l’irradiation : enquête chez des enfants de Nihonmatsu, préfecture de Fukushima

Cette étude menée dans la ville de Nihonmatsu met en lumière l’influence de plusieurs facteurs liés au mode de vie sur l’exposition des enfants aux rayonnements ionisants, trois ans après la catastrophe de Fukushima. Si ses résultats ne sont pas forcément applicables à d’autres municipalités, ils renforcent la nécessité d’améliorer l’information et l’éducation des populations.

Située au nord-ouest de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, à une distance de 37 à 60 km, la ville de Nihonmatsu (environ 57 000 habitants) était hors périmètre d’évacuation lorsque la centrale endommagée par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011 a relâché des matériaux radioactifs. Le suivi de sa population indique que la catastrophe a généré un surcroît d’exposition externe aux rayonnements ionisants estimé à 1,5 mSv/an en moyenne en 2011-2012, et 1 mSv en 2013.

 

En mai 2014, une enquête sur les déterminants de l’exposition actuelle a été lancée dans la population des enfants et adolescents (0-15 ans) de Nihonmatsu. En collaboration avec le système scolaire, les services municipaux de promotion de la santé ont distribué aux domiciles de tous les enfants un kit comportant un dosimètre personnel, une notice d’information sur l’étude, un formulaire de consentement, un questionnaire parental et son enveloppe retour. Le dosimètre (badge avec une plage de mesure [dose totale] de 0,01 à 10 mSv) devait être porté par l’enfant pendant deux mois (du 16 mai au 15 juillet), puis l’école en assurait la collecte. Les données recueillies par le questionnaire étaient d’ordre socio-démographique, relatives à l’habitat, aux habitudes de vie et aux attitudes des parents vis-à-vis du risque d’irradiation. Les questions concernant l’habitat et le mode de vie incluaient le type de résidence (appartement ou maison), le matériau de construction (bois, acier ou béton), la nature de l’environnement immédiat (autres bâtiments, zone boisée), l’utilisation de bois de chauffage, l’étage de la chambre de l’enfant et ses activités de plein air. Le degré de sensibilisation des parents au risque d’irradiation et leur conscience de ce risque étaient explorés par six questions sur leur comportement (réponse oui/non) et deux questions sur leurs degrés de prudence et de préoccupation (réponse graduée de beaucoup à pas du tout).

La population cible était de 6 884 enfants ; 5 376 consentements à participer ont été obtenus et 4 571 familles ont fourni des données complètes. Cette population finale incluait 708 enfants jusqu’à l’âge de 5 ans, 2 590 dans la tranche d’âge de l’école élémentaire (6 à 11 ans) et 1 273 dans celle du collège (12-15 ans). Les données ont été analysées par groupe d’âge.

Facteurs associés à l’exposition

En soustrayant l’irradiation d’origine naturelle, celle due à l’accident nucléaire, estimée à partir des mesures durant deux mois, était en moyenne de 0,65 mSv/an (écart type : 0,25) dans le groupe le plus jeune, de 0,66 mSv/an dans celui d’âge intermédiaire et de 0,64 mSv/an chez les plus grands enfants (écarts types : 0,27 pour ces deux groupes).

Trois facteurs liés à l’habitat font varier l’exposition de manière significative quel que soit l’âge : le matériau de construction, l’environnement résidentiel et l’étage de la chambre. L’exposition est plus élevée chez les enfants qui habitent dans des bâtiments à ossature en bois (représentant la majorité des participants : 77,9 % des moins de 6 ans, 81,2 % des 6-11 ans et 87,1 % des 12-15 ans). À titre d’exemple, dans le groupe d’âge intermédiaire le plus nombreux, l’exposition moyenne est estimée à 0,67 mSv/an versus 0,54 et 0,52 mSv/an pour les enfants qui vivent respectivement dans des constructions à ossature métallique et béton. L’exposition est par ailleurs majorée par la proximité d’une zone boisée et minorée par l’entourage d’autres constructions. Ainsi, toujours dans le groupe d’âge intermédiaire, les valeurs moyennes sont 0,67 mSv/an chez les participants résidant à moins de 100 m d’une forêt (81,5 % de l’échantillon) versus 0,55 mSv/an en cas contraire, et 0,62 mSv/an pour les enfants vivant dans des logements entourés par d’autres constructions (60,7 % de l’échantillon) versus 0,73 mSv/an chez ceux vivant dans des habitations isolées. L’effet de l’étage est net à partir du deuxième, mais le nombre d’enfants ayant une chambre au deuxième étage ou à un étage supérieur est faible (3,2 % des participants dans le groupe intermédiaire : exposition moyenne 0,48 mSv/an versus 0,65 mSv/an pour les enfants ayant une chambre au premier étage [70 % de l’échantillon] et 0,67 mSv/an pour ceux ayant une chambre au rez-de-chaussée).

Quelques facteurs apparaissent modifier de manière significative le niveau de l’exposition dans certains groupes d’âges seulement. L’analyse de régression linéaire identifie ainsi une association négative entre l’importance de l’exposition des enfants de moins de 6 ans et le niveau de prudence des parents, et une association positive entre l’exposition et l’utilisation domestique de bois de chauffage chez les 6-11 ans. Des associations plus nombreuses sont observées dans le groupe des collégiens : positives avec l’utilisation de bois de chauffage et la participation à une activité sportive extérieure dans le cadre scolaire, et inverses avec le niveau de prudence et de préoccupation des parents, ainsi qu’avec leurs réponses positives aux questions : « Avez-vous participé à un groupe d’étude ? », « Avez-vous acheté un appareil de mesure de la radioactivité ? », « Passez-vous le week-end en zone faiblement contaminée ? » et « Évitez-vous les zones fortement contaminées ? ».

Éléments de réflexion

L’accident de Fukushima a contaminé une surface boisée à plus de 75 %, ayant retenu des éléments tels que le césium 134 (demi-vie : 2,07 ans) et 137 (30,1 ans). Les émissions radioactives traversent facilement le bois, ce qui peut expliquer la relation entre l’exposition et la proximité résidentielle d’une zone boisée, ainsi que l’utilisation de bois comme matériau de construction ou source de chauffage.

Au Japon, les bâtiments scolaires sont généralement en béton, ce qui offre une meilleure protection de leurs occupants, mais la participation des élèves à des activités sportives de plein air accroît leur risque d’exposition aux rayonnements ionisants. A contrario, limiter le temps passé à l’extérieur (comme l’ont fait certains établissements scolaires de la préfecture de Fukushima) augmente le risque de problèmes de santé liés à la sédentarité.

La catastrophe de Fukushima a enseigné qu’il était nécessaire d’améliorer le niveau de connaissance de la population quant au risque lié aux rayonnements ionisants et aux moyens de s’en protéger. L’analyse des réponses au questionnaire utilisé dans cette étude, administré aux parents, montre que leur vigilance et leur attitude prudente réduit le niveau d’exposition des enfants, même si la relation n’est pas toujours statistiquement significative. Il serait intéressant de compléter ce travail par un questionnaire destiné aux enfants.

 


Publication analysée :

* Fujimura MS1, Komasa Y, Kimura S, Shibanuma A, Kitamura A, Jimba M. Roles of children and their parents in the reduction of radiation risk after the 2011 Fukushima Daiichi Nuclear Power Plant accident. PLoS ONE 2017 ; 12 : e0188906. doi : 10.1371/journal.pone.0188906

1 Department of Community and Global Health, Graduate School of Medicine, The University of Tokyo, Tokyo, Japon.