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Synthèse publiée le : 01/04/2017

Cancers et environnement

En 2016, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a célébré ses 50 ans d’existence. Il a été créé par l’Assemblée mondiale de la santé en 1965 dans un effort de coopération internationale majeure pour lutter contre le cancer. Un livre intitulé International Agency for Research on Cancer: The First 50 Years, 1995-2005 [1] retrace l’origine et le développement des principaux thèmes de recherche du CIRC, qui ont conduit à des avancées scientifiques majeures dans la compréhension des causes du cancer, notamment grâce au programme des Monographies du CIRC, et dans l’évaluation des approches de prévention et de détection précoces des cancers. Cette célébration a été aussi l’occasion pour le CIRC d’organiser une conférence internationale, Global Cancer Occurrence, Causes, and Avenues to Prevention, réunissant plus de 1 000 participants du 8 au 10 juin 2016 à Lyon autour de 33 sessions scientifiques [2]. Dans le cadre des travaux des Monographies du CIRC, de nouveaux volumes ont été publiés concernant l’évaluation de la cancérogénicité de 7 produits chimiques industriels (volume 115) [3], de la consommation de café, de maté et de boissons très chaudes (volume 116) [4] et du pentachlorophénol et composés apparentés (volume 117) [5]. Le Tableau 1 résume le classement des sept agents chimiques industriels évalués par le Groupe de travail du volume 115 des Monographies du CIRC et en rappelle leur utilisation [3].


Tableau 1. Agents évalués par le Groupe de travail des Monographies pour le Centre international de recherche sur le cancer

* Cette classification a été basée sur « des indications suffisantes de cancérogénicité chez l’animal de laboratoire », et de fortes indications mécanistiques que le tétrabromobisphénol A module les effets médiés par les récepteurs, induit un stress oxydatif, et est immunosuppresseur. Extrait de la traduction française officielle de la synthèse du volume 115 disponible sur http://www.cancer-environnement.fr/518-Vol-115--Cancerogenicite-de-certains-produits-chimiques-industriels.ce.aspx

Le Volume 116 des Monographies du CIRC a évalué la consommation de café, de maté et de boissons très chaudes [4]. Après examen approfondi de plus de 1 000 études menées chez l’homme et l’animal de laboratoire, le Groupe de travail a estimé qu’il disposait d’indications insuffisantes en faveur d’une cancérogénicité de la consommation de café (Groupe 3), précé­demment classée comme « possiblement cancérogène» pour l’homme (Groupe 2B) par le CIRC en 1991. De nombreuses études épidémiologiques ont montré que la consommation de café n’a aucun effet cancérogène vis-à-vis des cancers du pancréas, du sein et de la prostate, et une réduction de l’incidence des cancers du foie et de l’endomètre a été observée. Pour plus de 20 autres cancers, les données ne permettaient pas de conclure.

Le Groupe de travail a conclu que la consommation de boissons très chaudes provoque probablement le cancer de l’œsophage chez l’homme (Groupe 2A). Entre autres, des études menées dans des régions comme la Chine, la République isla­mique d’Iran, la Turquie et l’Amérique du Sud, où le thé ou le maté sont traditionnellement bus très chauds (à environ 70°C), ont montré que la survenue de cancer de l’œsophage augmente avec la température à laquelle la boisson est consommée. Des expérimentations animales ayant montré le potentiel cancérogène d’une eau consommée très chaude laissent penser que c’est davantage la température, plutôt que les boissons elles-mêmes, qui en sont la cause. La consom­mation de maté à des températures qui ne sont pas très chaudes était inclassable quant à sa cancérogénicité pour l’homme (Groupe 3), une conclusion prise sur la base de données insuffisantes chez l’homme et l’animal de laboratoire.

Le volume 117 a évalué la cancérogénicité du pentachlorophénol (PCP), du 2,4,6-trichlorophénol (TCP), de l’aldrine, du dieldrine, et du 3,3’,4,4’-tétrachloroazobenzène (TCAB) [5]. L’insecticide PCP, classé comme polluant organique persistant selon la convention de Stockholm, a été évalué comme « cancérogène avéré pour l’homme » (Groupe 1). Le PCP a large­ment été utilisé comme un agent de conservation du bois ou comme insecticide, mais sa production et son utilisation sont désormais limitées. La population générale peut être exposée à des produits en bois traité, à l’eau et à des aliments contaminés, ou à des émissions d’incinérateur. Dans les études épidémiologiques, l’exposition au PCP était associée à une augmentation du risque de lymphome non hodgkinien. De plus, le Groupe de travail disposait d’indications suffisantes de cancérogénicité dans les études chez l’animal, avec un risque de tumeurs similaire. Le TCP a également été utilisé comme agent de préservation du bois, comme insecticide, et dans la synthèse de certains fongicides. Les données épidé­miologiques concernant la cancérogénicité du TCP ont été évaluées insuffisantes mais, chez l’animal de laboratoire, les indications de la cancérogénicité du TCP étaient suffisantes. Néanmoins, puisque peu de données mécanistiques ou autres données pertinentes étaient disponibles, le TCP a donc été classé comme « possiblement cancérogène pour l’homme » (Groupe 2B).

L’aldrine et la dieldrine sont des pesticides synthétiques organochlorés classés comme polluants organiques persistants selon la Convention de Stockholm. Leur utilisation dans plusieurs pays a été interdite ou fortement limitée depuis le début des années 1970, et l’exposition de la population générale est en baisse. Le Groupe de travail disposait d’indica­tions suffisantes de la cancérogénicité de l’aldrine chez l’animal de laboratoire, avec trois études rapportant l’induction de carcinomes hépatocellulaires. Les données épidémiologiques concernant l’aldrine étaient insuffisantes et les données mécanistiques rares. Cependant, étant donné que l’aldrine se convertit rapidement en dieldrine dans l’organisme, l’ex­position à l’aldrine implique inévitablement une exposition interne au dieldrine. La dieldrine s’accumule dans les tissus graisseux. Après passage hépatique, elle est éliminée sous formes de métabolites ou inchangée dans les fèces et l’urine. La dieldrine, et l’aldrine métabolisé en dieldrine, ont été évalués comme « probablement cancérogènes pour l’homme » (Groupe 2A).

Le TCAB n’est pas produit commercialement mais se forme pendant la production et la dégradation des herbicides chlo­roanilides comme le propanile, le linuron, et le diuron. Le TCAB a été classé comme « probablement cancérogène pour l’homme » (Groupe 2A) parce qu’il appartient, sur la base des considérations mécanistiques, à la classe des agents qui activent le récepteur Ah (AhR), et les membres de cette classe ont déjà été précédemment évalués comme des cancéro­gènes de Groupe 1 ou de Groupe 2A.

 

Champs électromagnétiques à très basse fréquence

Une méta-analyse [6] de 42 études incluant 13 259 cas et 100 882 témoins, a évalué l’association entre l’exposition aux champs électromagnétiques à extrêmement basse fréquence et le risque de cancer. Les champs électromagnétiques extrê­mement basses fréquences sont notamment émis par les installations électriques et les dispositifs de transport de l’élec­tricité. La question de l’impact sanitaire de ces champs électromagnétiques a été étudiée depuis plusieurs décennies, mais aucun lien de causalité n’a été clairement identifié. Au total, la méta-analyse rapporte une augmentation de 8 % du risque de cancer (IC 95% : 1,01-1,15), mais pas d’augmentation pour un type de cancer particulier. Un risque plus important est rapporté par les études réalisées en Amérique du Nord, notamment aux États-Unis tandis que les études européennes, hétérogènes, ne montrent pas d’association significative dans l’ensemble. On note également un risque plus élevé dans les études ayant évalué l’exposition par questionnaire, comparé aux études basées sur la mesure des dispositifs. Ces dernières montrent néanmoins un risque accru dans le cancer du sein pré-ménopausique. Les difficultés méthodolo­giques pourraient expliquer l’hétérogénéité des résultats.

 

PCBs et cancer du sein

Une méta-analyse [7] s’est intéressée au risque de cancer du sein et l’exposition aux polychlorobiphényles (PCB), classés cancérogènes Groupe 1 par le CIRC avec des données limitées pour le cancer du sein. Les données soulignent une augmen­tation significative du risque du cancer du sein chez les personnes avec des niveaux plus élevés de PCB 99, PCB 183 et PCB 187 dans le sang ou le tissu adipeux. En revanche, les résultats de cette méta-analyse ne montrent pas de relation entre congénères PCB de type dioxine et le risque de cancer du sein.

 

Cancer de la prostate cancer et expositions professionnelles aux pesticides

Une revue de la littérature [8] a examiné le risque de cancer de la prostate et l’exposition aux pesticides sur la base de 52 études. L’analyse poolée (méta-analyse) de 25 d’entre-elles n’a montré aucune association entre une exposition faible aux pesticides et le cancer de la prostate. En revanche, une augmentation de 33 % du risque de cancer de la prostate a été retrouvée pour une exposition professionnelle élevée aux pesticides. Là aussi, les études basées sur des mesures retrouvent des niveaux de risque plus faible que les études basées sur des données collectées par autoquestionnaire.

 

Cancer de la thyroïde

Une méta-analyse [9] de 13 études couvrant 36 centrales nucléaires dans 10 pays, s’est intéressée au risque de de cancer de la thyroïde et le fait de vivre près d’une centrale nucléaire. Au total, les résultats ne montrent pas d’augmentation significative de l’incidence ou de la mortalité par cancer de la thyroïde chez les résidents vivant à proximité de centrales nucléaires. Cependant, une analyse limitée aux résidants de moins de 20 km des centrales nucléaires était associée à une augmentation significative du risque de cancer de la thyroïde dans les études de bonne qualité méthodologique (OR = 1,75, IC 95% : 1,17-2,64).

Dans une autre étude [10], des chercheurs du CIRC ont analysé les données d’évolution de l’incidence du cancer de la thyroïde sur une durée de 20 ans dans 12 pays développés (Australie, Danemark, Angleterre, Finlande, France, Italie, Japon, Norvège, République de Corée, Écosse, Suède et États-Unis). Les auteurs concluent que l’« épidémie » de cancers de la thyroïde observée ces vingt dernières années dans les pays développés est principalement due au surdiagnostic et surtraitement de certains cancers de la thyroïde à faible risque pour la santé, grâce à l’évolution des moyens diagnos­tiques. Plus de 470 000 femmes et 90 000 hommes, notamment dans des pays comme l’Australie, la France, l’Italie ou les États-Unis ont été concernés.

 

Cancer du pancréas et facteurs de risque environnementaux

Barone et coll. [11] font le point sur les principaux facteurs environnementaux qui pourraient avoir un rôle dans le cancer du pancréas dont l’incidence augmente régulièrement. Le tabagisme et l’obésité sont des facteurs de risque avérés pour ce cancer. Pour les auteurs, parmi les agents impliqués dans la phase d’initiation du processus cancéreux, il y a l’inhalation de la fumée de cigarette et l’exposition aux nitrosamines mutagènes, composés organochlorés, métaux lourds et radia­tions ionisantes. L’obésité, une consommation élevée d’alcool, une pancréatite, des infections microbiennes, le diabète, des calculs biliaires et/ou une cholécystectomie et l’accumulation de fibres d’amiante semblent jouer un rôle dans la progression de la maladie. Certains de ces agents agissent comme initiateurs et promoteurs. Les agents protecteurs identifiés incluent la consommation de fruits, de légumes, l’activité physique régulière, les flavonoïdes alimentaires, l’oméga-3 marine et la vitamine D.

Enfin, Vineis et Stewart [12] nous rappellent utilement que les processus cancérogènes sont le plus souvent liés à une interaction complexe de plusieurs cancérogènes agissants par des voies mécanistiques distinctes et aux interactions avec des variations de la susceptibilité biologique individuelle. Les facteurs de risques dits « faibles », qui augmentent le risque de 20-50 % plutôt que 10-20 fois comme le tabac ou 100-500 fois comme pour le HPV (Papillomavirus humain), peuvent contribuer au processus de cancérogénèse s’ils sont en combinaison avec d’autres agents. Par exemple, c’est le cas de la viande transformée[1], qui augmente le risque de cancer colorectal de 18 % pour chaque apport de 50 grammes par jour [13]. Ceci est bien établi, mais l’augmentation absolue du risque est faible. Le public et les médias devraient être suffi­samment informés et sensibilisés pour faire la différence entre un niveau de preuve (fort pour la viande transformée) et la force de l’augmentation du risque (modeste pour une consommation de 50 grammes de viande transformée par jour).

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Références
  1. Saracci R, Wild C. International Agency for Research on Cancer: The First 50 Years, 1965-2005. Lyon, France: IARC, 2015.
  2. Site de la conférence Global Cancer Occurrence, Causes, and Avenues to Prevention, 8-10 juin 2016, Lyon : www. iarc-conference2016.com.
  3. International Agency for Research on Cancer. IARC monographs on the evaluation of carcinogenic risks to humans. Volume 115. Some industrial chemicals. Lyon, France; February, 2016. IARC Monogr Eval Carcinog Risks Hum.
  4. International Agency for Research on Cancer. Volume 116: coffee, mate and very hot beverages. IARC Working Group. Lyon, France; 24–31 May, 2016. IARC Monogr Eval Carcinog Risks Hum.
  5. International Agency for Research on Cancer Volume 117: Pentachlorophenol and some related compounds. IARC Working Group. Lyon; 4–11 October 2016. IARC Monogr Eval Carcinog Risk Chem Hum.
  6. Zhang Y, Lai J, Ruan G, Chen C, Wang DW. Meta-analysis of extremely low frequency electromagnetic fields and cancer risk: a pooled analysis of epidemiologic studies. Environ Int 2016 ; 88 : 36-43.
  7. Leng L, Li J, Luo XM, Kim JY, Li YM, Guo XM, et al. Polychlorinated biphenyls and breast cancer: A congener-specific meta-analysis. Environ Int 2016 ; 88 : 133-41.
  8. Lewis-Mikhael AM, Bueno-Cavanillas A, Ofir Guiron T, Olmedo-Requena R, Delgado-Rodríguez M, Jiménez-Moleón JJ. Occupational exposure to pesticides and prostate cancer: a systematic review and meta-analysis. Occup Environ Med 2016 ; 73(2) : 134-44.
  9. Kim J, Bang Y, Lee WJ. Living near nuclear power plants and thyroid cancer risk: A systematic review and meta-analysis. Environ Int 2016 ; 87 : 42-8.
  10. Vaccarella S, Franceschi S, Bray F, Wild CP, Plummer M, Dal Maso L (2016). Worldwide thyroid cancer epidemic? The increasing impact of overdiagnosis. N Engl J Med. Available from: http://dx.doi.org/10.1056/NEJMp1604412.
  11. Barone E, Corrado A, Gemignani F, Landi S. Environmental risk factors for pancreatic cancer: an update. Arch Toxicol 2016 ; 90(11) : 2617-42.
  12. Vineis P, Stewart BW. How do we judge what causes cancer? the meat controversy. Int J Cancer 2016 ; 138(10) : 2309-11.
  13. Bouvard V, Loomis D, Guyton K Z, Grosse Y, El Ghissassi F, Benbrahim-Tallaa L, et al. Carcinogenicity of consumption of red and processed meat. Lancet Oncol 2015 ; 16(16) : 1599-600.

 

Note

[1] La viande transformée est définie comme une viande qui a été transformée par salaison, maturation, fermentation, fumaison ou d’autres processus mis en œuvre pour rehausser sa saveur ou améliorer sa conservation. Exemple: les hot-dogs (saucisses de Francfort), le jambon, les saucisses, le corned-beef, les lanières de bœuf séché, de même que les viandes en conserve et les préparations et les sauces à base de viande. La majorité des études sélectionnées pour l’évaluation de la viande transformée par le CIRC ont été réalisées aux États-Unis, avec de la viande en conserve et en sauce.