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ANALYSE D'ARTICLE

Biodiversité et santé : état des lieux de la littérature scientifique

Cette première revue de la littérature à la recherche des preuves d’un impact favorable de la biodiversité sur la santé montre que l’état actuel des connaissances est peu développé. Mais l’exploration mérite certainement d’être poursuivie.

This first literature review seeking proof of a favorable impact of biodiversity on health shows the scarcity of current scientific knowledge. The subject deserves further exploration, however.

A côté des bénéfices d’ordre économique, qui font aujourd’hui l’objet d’évaluations, les services non matériels que les écosystèmes rendent à l’humanité retiennent de plus en plus l’attention. Sur le plan de la santé, le sujet a été abordé sous l’angle des conséquences de leur dégradation. Il est ainsi admis que la perturbation d’un écosystème, et en particulier une perte de biodiversité, pourrait affecter la santé humaine via une diminution des ressources alimentaires ou de la qualité nutritionnelle des aliments, l’extension de certaines zoonoses, la raréfaction du réservoir de nouvelles molécules médicamenteuses, etc. Mais, si la perte de biodiversité peut avoir des répercussions néfastes sur la santé, l’inverse est-il vrai ? La biodiversité est-elle un facteur de bien-être et de bonne santé ? Qu’en dit la littérature scientifique ?

 

Une littérature très hétérogène

Plus de 20 bases de données et 40 sites Internet gouvernementaux ou d’organisations non gouvernementales, ainsi que 14 revues, ont été épluchés à la recherche d’études sur le lien entre biodiversité et santé, publiées entre 1980 et 2012. Après lecture approfondie et application des critères d’inclusion et d’exclusion, 17 articles ont finalement été retenus parmi les 263 présélectionnés.

Cette littérature composée d’articles récents (tous publiés entre 2000 et 2012) émanait de disciplines variées : écologie, épidémiologie, psychologie, anthropologie, santé publique et aménagement urbain/paysager. En général, les auteurs avaient postulé (explicitement ou implicitement) que l’exposition à un (ou la proximité d’un) environnement riche en biodiversité avait un impact positif sur la santé. Cette hypothèse était testée selon diverses approches en termes de type d’étude, de méthode, et surtout de critères utilisés pour qualifier l’état de santé. Il s’agissait parfois d’indicateurs sanitaires très généraux, comme l’espérance de vie à la naissance ou ajustée sur l’incapacité ou encore le taux de mortalité infantile, parfois de critères comportementaux (niveau d’activité physique) ou anthropomorphiques (indice de masse corporelle), et souvent de l’état de santé perçu (général, physique ou psychologique et émotionnel, mesuré sur des échelles comme le SF-36). La définition de la biodiversité était également éminemment variable. Certaines études s’appuyaient sur des données d’enquêtes écologiques telles que la variété des espèces d’oiseaux, de papillons ou encore de plantes, d’autres sur des scores de « richesse environnementale » perçue. Enfin, l’échelle à laquelle la relation entre biodiversité et santé avait été examinée allait de locale (les études incluaient alors des populations de quelques dizaines à centaines d’individus, résidents ou visiteurs de l’endroit concerné) à globale (population d’un pays, d’une région géographique, voire théoriquement mondiale dans deux études ayant examiné le rapport entre l’espérance de vie et divers indicateurs de biodiversité comme la proportion des espèces menacées, des forêts originelles ou des terres gravement altérées par les activités humaines).

 

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Commentaires

La perte de biodiversité au sein de l’environnement naturel de l’homme, phénomène unanimement constaté, la sixième extinction en cours pour certains prophètes, aurait un coût pour la santé et le bien-être humain, coût caché au demeurant et transmis sans scrupule aux générations futures, mais évaluable par les sciences économiques. Ce coût résulte principalement de deux facteurs : d’une part la disparition de matériel biologique utile à l’homme pour se nourrir et se soigner (ressources phénotypiques ou génotypiques), et d’autre part le dérèglement voire l’effondrement d’écosystèmes fonctionnels entraînant la perte de biens et services « écosystémiques ».

Le bénéfice de la biodiversité pour la santé humaine est plus difficile à appréhender : s’il est admis que la biodiversité joue un rôle-clé dans la régulation et la modulation des processus et fonctions écosystémiques, par quels chemins, en termes de biens et services écosystémiques, la biodiversité peut-elle favoriser la bonne santé (recul de la prévalence des maladies transmissibles) et le bienêtre humain ? Cet impact positif peut être très lointain : la promotion du bien-être pouvant se faire par l’esthétique, les loisirs et la sensation d’espace, certains n’hésitant pas à parler alors de services écosystémiques culturels...

On mesure l’importance politique de ce concept de biens et services écosystémiques : l’avenir du bien-être humain mobilise davantage l’intérêt immédiat que celui de la planète ... Un faisceau de preuves fortes et fi ables d’un lien causal entre biodiversité dans l’environnement, réelle ou perçue, et bonne santé humaine, mais aussi bien-être, pourrait fournir la justification de politiques publiques plus offensives pour la protection de la biodiversité dans les écosystèmes naturels.

La science, convoquée conjointement par la santé publique et la conservation de la nature, cherche donc à formaliser l’interdépendance complexe de la santé et du bien-être humain, des sociétés, des économies, et de leur environnement naturel, qui défi e les approches holistiques même les plus transdisciplinaires.

La revue bibliographique de Lovell et al. montre que nous n’en sommes qu’aux prémices, mais que le niveau de preuve d’ores et déjà atteint suggère de continuer et développer les recherches.

Jean Lesne

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Quelques preuves d’un lien entre biodiversité et santé

Les résultats des 14 études quantitatives présentant la meilleure qualité méthodologique suggèrent un effet bénéfique de la richesse naturelle de l’environnement sur l’état de santé ou le niveau de bien-être. Neuf études établissent une ou plusieurs association(s) positive(s) entre, par exemple, l’exposition immédiate à un environnement riche (touristes visitant un parc naturel) et l’état émotionnel, ou l’exposition répétée (proximité résidentielle) et l’activité physique. L’ensemble est cependant peu concluant. Les associations mises en évidence dans certaines études ne sont pas retrouvées dans d’autres et l’hétérogénéité des résultats ne semble pas liée à la force de l’étude, à la fiabilité de la mesure de la biodiversité ou à la spécificité du critère de santé ou de bien-être considéré. Deux études font état d’associations négatives, l’une locale, qui a inclus un échantillon de plus de 1 000 résidents de Sheffield (Angleterre) et utilisé des critères objectifs de mesure de la biodiversité, l’autre globale, qui décrit une relation contraire à l’attendu entre le pourcentage d’espèces menacées et l’espérance de vie. Dans cette étude, les associations positives (entre la biodiversité et le taux de mortalité infantile, ainsi que l’incidence du faible poids de naissance) disparaissent après ajustement sur des variables socio-économiques. Il en est de même quand le produit national brut est contrôlé dans une autre étude à l’échelle globale.

Les échelles importantes ne sont peut-être pas les plus pertinentes pour examiner les liens entre la biodiversité et la santé. Un pays économiquement avancé peut, par exemple, supporter jusqu’à un certain seuil la diminution de ses ressources naturelles sans que cela n’entraîne un impact négatif sur le niveau de santé ou de bienêtre de la population, en allant chercher les ressources nécessaires à l’extérieur. Les études à petite échelle, qui examinent plus directement le lien entre l’environnement de vie et le niveau de bien-être perçu, semblent plus contributives. Les facteurs qui participent à un impact positif de la biodiversité incluent probablement la qualité de vie, l’agrément esthétique de l’environnement, l’accès à des espaces de détente et d’activité appréciés, et d’autres facteurs qui peuvent être considérés comme relevant des services écosystémiques d’ordre culturel.

La relation entre biodiversité et santé apparaît toutefois complexe. Des écosystèmes naturellement pauvres, comme les estuaires, représentent des environnement attirants pour l’homme, qui y vit bien. L’augmentation de la biodiversité dans un paysage urbain, par exemple, peut avoir des conséquences négatives sur la santé ou le sentiment de sécurité. Identifier et caractériser les services écosystémiques susceptibles de bénéficier à la santé humaine est une étape indispensable pour faire avancer les connaissances. Ce champ de recherche nécessite une collaboration véritablement interdisciplinaire, intégrant les sciences sociales et les sciences naturelles, ainsi que la prise en compte de déterminants d’ordres socio-économiques et socioculturels en particulier. Les chercheurs pourraient aussi tirer profit de situations d’expérimentations « naturelles » offertes, par exemple, par la mise en œuvre de décisions politiques ou la réalisation de programmes entraînant des changements environnementaux.

 

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Lovell R1, Wheeler BW, Higgins SL, Irvine KN, Depledge MH. A systematic review of the health and well-being benefits of biodiverse environments. J Toxicol Environ Health, Part B 2014; 17: 1-20.

doi: 10.1080/10937404.2013.856361

 

1 European Centre for Environment & Human Health, University of Exeter Medical School, Truro, Royaume-Uni.