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Bulletin du Cancer

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La combinaison d’une analyse des altérations génomiques dans le cancer du foie et d’un crible par ARN interférence permet l’identification de nouveaux « gènes suppresseurs de tumeurs » Volume 96, numéro 1, janvier 2009

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Auteur(s) : Jean-Marie Darbon

Dans un récent numéro de la revue Cell, Zender et al. rapportent l’identification d’une série de gènes suppresseurs de tumeurs, dont la perte pourrait être impliquée dans la carcinogenèse hépatique [1]. Cette découverte est le résultat d’une étude oncogénomique intégrée, combinant l’analyse des délétions chromosomiques présentes dans les hépatocarcinomes et le criblage de perte de fonction par ARN interférence (ARNi) sur un modèle murin.

Les auteurs ont tout d’abord analysé sur puces à ADN (CGH-array) les altérations génomiques dans 98 carcinomes hépatocellulaires humains. Ils ont focalisé cette analyse sur les délétions récurrentes, dont la taille était inférieure ou égale à 2,6 Mb, partant de l’idée que ces régions étaient les plus susceptibles de contenir des gènes suppresseurs de tumeurs. Cinquante-huit délétions de ce type ont ainsi été identifiées. Sur les 362 gènes portés par ces régions délétées, 301 présentent des orthologues murins. Plus de 600 shRNAs (short hairpin RNAs) correspondant à ces 301 gènes (en moyenne deux shRNAs par gène) ont alors été sélectionnés à partir de la banque ARNi CODEX du Cold Spring Harbor.

Zender et al. ont testé l’éventuelle capacité tumorigène de ces shRNAs sur un modèle murin d’hépatocarcinome préalablement établi [2, 3] : ils avaient, en effet, obtenu des lignées d’hépatocytes embryonnaires murins n’exprimant pas p53 et surexprimant c-myc (deux événements que l’on observe fréquemment dans les hépatocarcinomes humains). Bien qu’immortalisés, ces hépatoblastes p53–/–; c-myc ne sont pas capables de former des tumeurs lorsqu’ils sont réimplantés chez la souris. Mais, étant donné leur fond génétique, l’introduction d’une seule lésion additionnelle (surexpression d’un oncogène ou extinction d’un gène suppresseur de tumeur) est suffisante pour les rendre tumorigènes [2-4]. C’est le cas lorsque l’on introduit dans ces cellules un shRNA spécifique du gène Axin ou du gène Apc (deux gènes impliqués dans la signalisation Wnt, fréquemment dérégulée dans les hépatocarcinomes humains), et cela, même après dilution au sein d’un pool de 47 autres shRNAs non relevants [1]. Les shRNAs spécifiques des 301 gènes ont été répartis en 13 pools de 48 shRNAs, et chacun de ces pools a été introduit dans les hépatoblastes p53–/–; c-myc. De façon remarquable, sept de ces 13 pools conduisent à la formation de tumeurs chez la souris, alors qu’aucun des dix pools « témoins », constitués de shRNAs sélectionnés au hasard dans la banque CODEX, n’est tumorigène. L’identification des shRNAs extraits des tumeurs générées chez la souris démontre un enrichissement d’un facteur, au moins égal à 2,5 de 36 de ces shRNAs. Dix-huit d’entre eux ont été sélectionnés et testés individuellement pour leur capacité à rendre tumorigènes les hépatoblastes p53–/–; c-myc. Sur les 15 gènes ciblés par ces 18 shRNAs, six peuvent être définitivement validés comme gènes suppresseurs de tumeurs, dans la mesure où l’extinction de leur expression induit, de manière reproductible, la croissance tumorale la plus importante. Il s’agit de Pten, Xpo4, Ddx20, Gjd4, Nrsn2 et Fstl5. À l’exception de Pten (déjà connu comme gène suppresseur de tumeur), aucun de ces gènes n’avait été encore impliqué dans le cancer.

Les auteurs se sont alors particulièrement intéressés au gène Xpo4, dans la mesure où le shRNA qui lui était spécifique était celui qui était le plus enrichi dans les tumeurs générées chez la souris. Le gène Xpo4 code l’exportine 4, membre de la famille des transporteurs nucléaires, connu pour être responsable de la translocation du noyau au cytoplasme de SMAD3, protéine effectrice du TGFβ, et de deux facteurs d’initiation de la traduction, les isoformes EIF5A1 et EIF5A2. Comme attendu, l’extinction de Xpo4 par ARNi dans les cellules d’hépatocarcinome murin conduit à l’augmentation de la concentration nucléaire de SMAD3 (mais aussi à l’élévation du niveau de plusieurs gènes cibles de SMAD3 : colT7A1, Timp et p15) et à l’accumulation nucléaire d’EIF5A1 et EIF5A2. Les auteurs montrent que l’extinction de l’expression de Xpo4 dans ces cellules conduit à une stimulation de la prolifération cellulaire. Une expérience en miroir est réalisée dans des cellules d’hépatocarcinome humain SK-Hep1, déficientes en Xpo4 : l’expression forcée de Xpo4 dans ces cellules induit une inhibition de la prolifération cellulaire, sans effet sur l’apoptose.

La fonction de Xpo4 ne se limite pas au cancer du foie : l’analyse in silico des altérations génomiques présentes dans 257 tumeurs du sein montre que la région génomique comprenant ce gène est délétée dans 30 % des cas, et que cet événement semble signer un pronostic pire (p = 0,038). Les auteurs rapportent par ailleurs que le gène EIF5A2 est, a contrario, amplifié dans un grand nombre de ces tumeurs mammaires, comme il l’est dans 22 des 98 hépatocarcinomes analysés précédemment. En cohérence, l’expression forcée de ce gène dans les hépatoblastes murins p53–/–; c-myc les rend tumorigènes. En revanche, l’extinction d’EIF5A2 par ARNi dans les cellules d’hépatocarcinome humain SK-Hep1 induit une inhibition de la prolifération cellulaire.

En conclusion, cette étude met une nouvelle fois en exergue l’intérêt de combiner l’analyse des altérations génomiques présentes dans les cancers et des cribles génétiques « perte de fonction ». Une approche similaire avait récemment permis d’identifier CDK8 comme un oncogène possiblement responsable de la progression de certains cancers colorectaux [5, 6]. L’étude de Zender et al. bat de surcroît en brèche l’idée selon laquelle le nombre de gènes suppresseurs de tumeur est vraisemblablement limité : elle suggère, en effet, que plusieurs d’entre eux restent à découvrir, permettant d’espérer autant de futures pistes thérapeutiques.

Références

1 Zender L, Xue W, Zuber J, Semighini CP, Krasnitz A, Ma B, et al. An oncogenomics-based in vivo RNAi screen identifies tumor suppressors in liver cancer. Cell 2008 ; 135 : 852-64.

2 Zender L, Xue W, Cordón-Cardo C, Hannon GJ, Lucito R, Powers S, et al. Generation and analysis of genetically defined liver carcinomas derived from bipotential liver progenitors. Cold Spring Harb Symp Quant Biol 2005 ; 70 : 251-61.

3 Zender L, Spector MS, Xue W, Flemming P, Cordon-Cardo C, Silke J, et al. Identification and validation of oncogenes in liver cancer using an integrative oncogenomic approach. Cell 2006 ; 125 : 1253-67.

4 Xue W, Krasnitz A, Lucito R, Sordella R, Vanaelst L, Cordon-Cardo C, et al. DLC1 is a chromosome 8p tumor suppressor whose loss promotes hepatocellular carcinoma. Genes Dev 2008 ; 22 : 1439-44.

5 Firestein R, Bass AJ, Kim SY, Dunn IF, Silver SJ, Guney I, et al. CDK8 is a colorectal cancer oncogene that regulates beta-catenin activity. Nature 2008 ; 455 : 547-51.

6 Darbon JM. CDK8, oncogène à la croisée des voies Wnt/β-caténine et pRb/E2F1 dans les cancers colorectaux. Bull Cancer 2008 ; 95 : 1-2.